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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 38

Le jeudi 23 mars 2000
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 23 mars 2000

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

AFFAIRES COURANTES

Le Budget des dépenses de 1999-2000

Présentation et impression en annexe du rapport du comité des finances nationales sur le Budget supplémentaire des dépenses (B)

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le troisième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui porte sur le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour 1999-2000.

Je demande que le rapport soit imprimé en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Le texte du rapport figure en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui, Annexe «A», p. 425.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Murray, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

Présentation et impression en annexe du rapport du comité des finances nationales sur le Budget principal des dépenses

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui porte sur le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000.

Je demande que le rapport soit imprimé en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Le texte du rapport figure en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui, Annexe «B», p. 428.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Murray, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Budget de 2000-2001

Présentation et impression en annexe du rapport du comité des finances nationales sur le Budget principal des dépenses

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui porte sur le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2001.

Je demande que le rapport soit imprimé en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Le texte du rapport figure en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui, Annexe «C», p. 430.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Murray, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

(1410)

Projet de loi de crédits no 4 pour 1999-2000

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-29, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 2000.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Hays, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

Projet de loi de crédits no 1 pour 2000-2001

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-30, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 2001.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Hays, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance du mardi 28 mars 2000.)

Le Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique

La huitième assemblée annuelle-Avis d'interpellation

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, je donne avis que mardi prochain, le 28 mars 2000, j'attirerai l'attention du Sénat sur la huitième assemblée annuelle du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique, tenue à Canberra, en Australie, du 9 au 14 janvier 2000.

LE groupe interparlementaire canada-japon

La dixième rencontre bilatérale annuelle avec la Ligue d'amitié des parlementaires Japon-Canada-Avis d'interpellation

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je donne avis que mardi prochain, le 28 mars 2000, j'attirerai l'attention du Sénat sur la dixième rencontre bilatérale annuelle entre le Groupe interparlementaire Canada-Japon et la Ligue d'amitié des parlementaires Japon-Canada, tenue à Tokyo, Hiroshima et Shikoku, au Japon, du 6 au 13 novembre 1999.

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à notre tribune d'un groupe de jeunes qui représente le Forum pour jeunes Canadiens. Ils ont été reçus ce matin dans l'antichambre du Sénat. Quelques sénateurs étaient présents.

[Français]

Ce matin, ils ont tenu une séance dans la Chambre du Sénat et ont occupé vos fauteuils. Ils ont été, pour cette partie de la journée, des sénateurs.

Des voix: Bravo!

[Traduction]

Son Honneur le Président: Au nom de tous les sénateurs, il me fait plaisir de vous accueillir à notre tribune cet après-midi.


PÉRIODE DES QUESTIONS

La défense nationale

Les hélicoptères Sea King-Le niveau d'entraînement des pilotes

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question ou deux au leader du gouvernement au Sénat, concernant principalement le maintien des compétences de vol des pilotes et des copilotes d'hélicoptères. Le ministre sait que le niveau de fiabilité des Sea King est très bas. Si l'on ajoute à cela le fait que ces hélicoptères nécessitent une trentaine d'heures d'entretien pour chaque heure de vol, on devine donc qu'ils ne sont pratiquement pas disponibles pour des activités telles que l'entraînement au vol. Il faut penser aussi que, comme dans tout le reste, il faut les utiliser souvent - pour s'entraîner et pour s'habituer aux variables. Tout cela est vrai, même quand l'équipement est neuf, et c'est particulièrement nécessaire dans le cas de vieux appareils comme les Sea King.

Ma préoccupation, c'est qu'il y a un manque croissant de fonds pour l'entretien et ainsi, les avions ne sont pas disponibles pour procéder à l'instruction de vol souhaitable. Je sais que les pilotes reçoivent une formation de base, mais ils ont besoin d'un entraînement dans le maniement d'un avion vieillissant qui éprouve des problèmes comme ceux qui affligent le Sea King, notamment les fuites dans les conduits de carburant, et cetera. Comment le gouvernement entend-il s'assurer que les pilotes et les copilotes des Sea King reçoivent toute l'instruction de vol voulue?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, nous avons tous constaté dans le dernier budget un réinvestissement dans nos forces armées.

Plus particulièrement en ce qui concerne les Sea King, comme nous en avons discuté à de nombreuses reprises au Sénat, cet appareil militaire atteint, c'est évident, la fin de sa vie utile. Il exige un grand nombre d'heures d'entretien pour chaque heure de vol. Cependant, le personnel militaire et la compagnie qui est la principale responsable de l'entretien de l'appareil nous assurent que les travaux d'entretien sont faits pour que l'appareil soit disponible, prêt et sûr aux fins d'utilisation par nos forces armées.

En ce qui concerne le nombre d'heures d'entraînement offertes aux pilotes des hélicoptères Sea King, je ne connais pas précisément les chiffres actuels. J'ignore d'ailleurs s'il y a moins d'heures d'instruction de vol cette année que l'année dernière ou l'année d'avant. Je vais certes pouvoir me renseigner à ce sujet auprès du ministre de la Défense nationale. Je peux lui demander s'il y a eu ou non des réductions importantes des heures de vol des Sea King et de leurs pilotes.

Le remplacement des hélicoptères Sea King

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, le gouvernement a promis le remplacement des Sea King d'ici la fin de la décennie. Comme nous le savons tous, nous avons maintenant dépassé depuis trois mois ce délai.

Nous avons vu la dextérité avec laquelle un pilote d'hélicoptère a posé en toute sécurité son appareil au Timor oriental, dans l'océan, et a été en mesure de repartir son moteur et de retourner à sa base. Cet incident est très révélateur quand on y réfléchit bien. Tout d'abord, le pilote était vraiment excellent. Cependant, pourquoi a-t-il coupé les gaz? Il l'a fait parce que quelqu'un l'a avisé d'un problème, mais il n'avait jamais essayé cela sur un appareil. Cela peut fonctionner dans certains cas, mais pas dans le cas de vieux appareils comme les hélicoptères Sea King.

Quand le gouvernement nous donnera-t-il un indice laissant entrevoir qu'il fera au moins un premier pas? Nous savons maintenant que les Cougar, Cormorant et Sikorsky sont dans la course. Nous avons désormais assez de renseignements éclairés sur la construction de ces aéronefs pour savoir qu'ils sont sûrs et qu'ils peuvent bien se comporter.

Quand va-t-on faire un premier pas et quand va-t-on laisser entrevoir aux militaires qu'il est maintenant temps que le gouvernement du Canada remplace les hélicoptères Sea King?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, l'incident survenu au Timor oriental et mentionné par l'honorable sénateur est un exemple de ce que certains avaient d'abord vu comme une défaillance du matériel. Après enquête et présentation d'un rapport, il semble que l'amerrissage non prévu résulte d'une manoeuvre effectuée par le pilote.

(1420)

Cet incident montre qu'aussi bonne que puisse être la formation de notre personnel, il peut y avoir à l'occasion de petites erreurs.

Le sénateur Forrestall: Ce n'était pas une petite erreur.

Le sénateur Boudreau: Nous avons beaucoup de chance que nos militaires soient fort bien formés. Je suis convaincu que tous les pilotes de Sea King sont des professionnels et qu'ils sont fort capables de s'acquitter des tâches qui leur sont confiées. J'aimerais que nous ayons des hélicoptères plus récents, tout comme le souhaite l'honorable sénateur. Je ne peux que lui donner de nouveau l'assurance que le ministre de la Défense nationale partage notre désir. Il est à espérer que ce dossier débloquera dans un proche avenir.

Le remplacement des hélicoptères Sea King-Les fonds prévus dans le Budget principal des dépenses de 2000-2001

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, le Budget principal des dépenses a été examiné hier par le comité sénatorial permanent de la défense nationale. Un examen attentif semble indiquer que le budget ne prévoit rien au cours de la prochaine année financière pour l'acquisition d'hélicoptères. Est-ce exact?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Comme l'honorable sénateur Forrestall l'a souligné dans le passé et comme il me le rappellera de nouveau si ma réponse à ce sujet n'est pas claire, les dépenses réelles qui serviront à acquérir de nouveaux aéronefs s'étendront sur de nombreuses années. En réalité, il se pourrait fort bien que si l'on prenait demain matin la décision de foncer droit devant, il n'y ait pas de grands déboursés au cours de la prochaine année financière. C'est un engagement qui s'étend sur de nombreuses années et un projet qui, faut-il l'espérer, débutera dans les meilleurs délais.

Le sénateur Stratton: Le leader du gouvernement au Sénat nous informe-t-il qu'aucun montant n'est prévu pour l'année financière 2000-2001? Rien n'étant prévu, cela signifie qu'il nous faudra attendre l'année financière suivante pour obtenir quelque montant que ce soit et commencer à remplacer les hélicoptères et que cinq ans plus tard, il se pourrait que nous obtenions un hélicoptère. Est-ce vrai, oui ou non?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je dois répondre par la négative aux suppositions de l'honorable sénateur. J'ai dit qu'il s'agissait d'un processus pluriannuel et non d'une mesure que nous pouvions arrêter et mettre en oeuvre en une année. Les honorables sénateurs le savent. Le processus d'acquisition lui-même prendra un certain temps, de sorte que nous puissions nous assurer qu'en remplaçant les hélicoptères Sea King, nous obtenons le matériel le meilleur et le plus approprié à l'usage qu'en feront nos forces armées.

Le sénateur Kinsella: Vous l'aviez.

Le sénateur Boudreau: En fait, il peut y avoir une certaine activité. J'ai dit qu'il n'y aura pas de dépenses importantes. À supposer que le processus commence demain matin, il n'y aurait pas de dépenses importantes prévues au cours de la prochaine année financière.

La santé

La restructuration et la revitalisation du système

L'honorable W. David Angus: Honorables sénateurs, aujourd'hui, les Canadiens attendent deux choses essentielles de leur gouvernement: un système de santé relancé et revitalisé, d'une part, et des impôts moins élevés, d'autre part, deux choses qui amélioreraient le niveau de vie de tous les Canadiens, surtout des jeunes Canadiens. Malheureusement, le gouvernement actuel n'a pas donné grand-chose sur ces deux points. Notre système de santé a besoin d'une forte augmentation des transferts en espèces pour les rétablir au niveau de 1994 et, surtout, il a besoin d'une injection d'idées nouvelles et d'une réflexion innovatrice.

Le gouvernement libéral a été totalement incapable de fournir ce genre de leadership et de vision. En fait, le montant d'argent que le dernier budget prévoit injecter dans la santé est inférieur à la somme des subventions que DRHC a distribuées au cours de l'année financière 1999. On dit que certaines des subventions ont été accordées pour aider des entreprises établies dans la circonscription du premier ministre à rembourser des emprunts bancaires.

Le sénateur Perrault: L'honorable sénateur se montre très partisan.

Le sénateur Angus: Je veux poser au leader du gouvernement au Sénat la question suivante: alors qu'on prévoit que notre population âgée doublera d'ici 15 ans, comment se fait-il que son gouvernement semble plus intéressé à gaspiller l'argent des contribuables à des subventions discutables et à des ententes commerciales douteuses qu'à restructurer notre système de santé pour l'adapter aux besoins différents et aux coûts plus élevés que provoquera ce changement?

Des voix: Oh, oh!

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne tiendrai pas compte du préambule de cette question.

Le sénateur Graham: Faites de même pour l'ensemble de la question.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, la raison en est que nous avons tenu ici un débat sur la nécessité d'une intervention du gouvernement pour permettre à des citoyens moins fortunés que certains d'entre nous en cette Chambre d'accéder à la dignité de travailleur.

Le sénateur Angus: Encore de la manipulation médiatique.

Le sénateur Boudreau: Je ne vais pas m'en excuser. D'ailleurs, je ne m'attarderai pas sur la question, étant donné que l'honorable sénateur et moi-même en avons déjà discuté dans le passé.

Au sujet des soins de santé, je suis au courant plus précisément de la situation en Nouvelle-Écosse parce que c'est ma province d'origine. J'ai constaté deux choses relativement aux deux derniers budgets fédéraux. Le gouvernement a relevé sensiblement les paiements du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et il a modifié la formule de péréquation. Les chiffres s'appliquent à une période de cinq ans, car telle est la durée des accords de péréquation et des contributions. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse recevra plus d'un milliard de dollars supplémentaires.

Honorables sénateurs, je n'ai pas examiné en détail les chiffres pour les autres provinces, mais je crois que leur situation sera similaire, en particulier en ce qui concerne les paiements prévus dans les accords de péréquation. Le gouvernement a donc injecté et injectera des sommes considérables dans les budgets provinciaux et cet argent est disponible pour les soins de santé.

J'estime, et je crois que de nombreuses personnes, peut-être même l'honorable sénateur, partagent mon point de vue, que l'injection de fonds supplémentaires dans les soins de santé n'est pas la solution qu'il nous faut au Canada. Même en augmentant le financement des soins de santé, le statu quo n'est pas acceptable et ne le sera pas davantage dans les années qui viennent.

Honorables sénateurs, nous devons faire preuve d'une plus grande imagination pour régler le problème. Je crois que le gouvernement fédéral doit prendre l'initiative à cet égard. Par ailleurs, nous devons aussi tenir compte de la Constitution canadienne, qui reconnaît clairement aux provinces la compétence en matière de soins de santé. La prestation des soins de santé est la responsabilité des provinces.

Je suis heureux de l'intérêt que le sénateur porte à cette question. Les soins de santé représentent sans doute le plus important défi que le gouvernement canadien aura à relever au cours des dix prochaines années. Le premier ministre, le ministre de la Santé et le ministre des Finances ont tous dit qu'il fallait s'unir parce qu'il s'agit d'un champ de compétence conjoint. L'honorable Paul Martin déclarait ce qui suit le soir où il a présenté le budget:

Conjuguons nos efforts, attaquons-nous aux problèmes et aux défis du régime de santé, et nous fournirons les fonds.

Le sénateur Angus: Honorables sénateurs, j'espère que l'honorable Paul Martin sera là pour nous aider.

Je remercie le leader du gouvernement de sa réponse parce que je m'intéresse de très près à ce domaine. C'est pourquoi j'ai utilisé ces beaux mots que sont «restructuration» et «revitalisation». Oui, des solutions créatives sont nécessaires, et je suis heureux d'apprendre que le gouvernement s'attaque au problème. Le leader peut compter sur ma collaboration et sur celle de mes collègues.

Le vérificateur général

Les programmes d'aide gouvernementale-Les contrôles comptables

L'honorable W. David Angus: Honorables sénateurs, j'ai obtenu, par l'entremise de la presse, un renseignement de dernière minute provenant du vérificateur général, Denis Desautels, qui a pu discuter de certaines des questions relatives aux subventions de DRHC ce matin à l'autre endroit. Il a précisé que les problèmes liés aux subventions servant à la création d'emplois ne se limitent pas au ministère du Développement des ressources humaines. Il a déploré le traitement de ces subventions en général.

Sans amorcer de débat politique comme il nous arrive parfois de le faire au Sénat et en essayant d'être gentil, évidemment, le leader du gouvernement pourrait-il au moins dire aux sénateurs quels sont ces autres ministères, où sont les problèmes et d'où viennent les irritants?

(1430)

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, dans tous les secteurs d'activité où le gouvernement a un rôle à jouer, nous courons le risque, à l'occasion, de ne pas faire les choses aussi efficacement et complètement que nous le voudrions.

Cela ne m'étonnerait pas que ce soit le cas dans certaines initiatives de développement régional, qu'il s'agisse du Fonds de développement régional de l'Ouest ou de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Toutefois, si c'est le cas, la solution consiste alors à imposer des contrôles plus stricts et à adopter une approche plus diligente pour ces programmes, à chercher à savoir si des fonds ont été mal contrôlés, à les trouver et à rectifier le problème. La solution ne consiste pas à supprimer le programme. Comme ma mère disait: «Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.»

[Français]

Projet de loi sur la clarté du processus référendaire

Les modalités d'application

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, le très honorable premier ministre du Canada, M. Chrétien, la fin de semaine dernière au congrès du Parti libéral du Canada, qui, comme on le sait, était un congrès d'idées et d'orientations sur le Canada, a déclaré dans son discours que le projet de loi C-20 fournissait la garantie aux Canadiens que s'il y avait un prochain référendum, il porterait nécessairement sur la sécession du Québec du reste du Canada. Ai-je bien compris son discours? Les Canadiens ont-ils, avec le projet de loi C-20, la garantie que la question va être claire et qu'elle va porter sur la sécession du Québec du reste du Canada?

[Traduction]

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, cette question tombe vraiment à point car je m'attends à ce que nous puissions engager un débat sur cette mesure législative très importante un peu plus tard aujourd'hui. De toute évidence, cette mesure législative vise, dans ses trois articles, à faire en sorte que, si une question est posée, non seulement au Québec, mais dans toute province qui envisagerait de se séparer, eh bien qu'elle soit posée clairement. La question est claire si elle fait état non pas d'un nouveau cadre de négociations, non pas d'une forme quelconque d'association, quels que soient les vocables choisis, mais bien de sécession et d'indépendance.

[Français]

Le sénateur Rivest: Ma question est précise: le projet de loi donne-t-il aux Canadiens la garantie que cela sera le cas?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je pense qu'il va en être question au cours du débat, mais le projet de loi indique clairement qu'il faut que ce soit le cas avant que le gouvernement du Canada puisse engager des négociations sur les conditions fixées par la Constitution concernant toute séparation.

[Français]

Le sénateur Rivest: Donc, si les Canadiens ont cette garantie en vertu du projet de loi C-20, cela donne raison à M. Charest, le chef du Parti libéral du Québec, et à M. Ryan, qui soutiennent que ce projet de loi empiète sur la liberté et les prérogatives de l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale n'aurait-elle pas le choix de poser une autre question que celle proposée par le projet de loi C-20?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je vais aborder cette question précise dans mon discours plus tard cet après-midi. J'ajoute toutefois que la Loi du Parlement du Canada n'empêchera pas l'Assemblée nationale du Québec de poser la question de son choix et de la formuler comme elle l'entend. Cependant, la loi dira que la population canadienne et le gouvernement du Canada ne sont tenus d'engager des négociations sur une sécession éventuelle que si la question posée est tout à fait claire.

[Français]

Le sénateur Rivest: Aucune garantie n'est donc donnée aux Canadiens que la question va porter sur la sécession. C'est «To be or no to be».

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: L'Assemblée nationale du Québec, l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique ou l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse peuvent poser toute question qu'elles voudront, la poser n'importe quand et la formuler comme bon leur semble. Nous ne voulons pas nous mêler de cela. Cela ne rimerait à rien. Pourquoi nous en donnerions-nous la peine? Je mentionnerai tout à l'heure d'illustres Canadiens qui pensent que le projet de loi C-20 ne porte nullement atteinte au droit des assemblées législatives provinciales de formuler la question comme elles l'entendent.

L'élément clé réside cependant dans le fait que ni les Canadiens ni le gouvernement du Canada ne sont tenus - conformément à l'avis de la Cour suprême du Canada - d'accepter de négocier la sécession si la province sécessionniste décide de poser ce genre de question.

[Français]

Le sénateur Rivest: Honorables sénateurs, si l'Assemblée nationale du Québec ou toute autre assemblée législative au pays peut poser la question qu'elle veut, c'est donc que les Canadiens n'ont pas la garantie que la question va porter sur la sécession. Je conviens que le gouvernement du Canada a le droit de dire qu'il veut une question là-dessus. Alors pourquoi présenter un projet de loi? M. Trudeau y avait fait allusion.

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, le projet de loi énonce clairement l'obligation de la Chambre des communes d'indiquer si, de l'avis des parlementaires fédéraux, la question est claire.

Le sénateur Kinsella: La Chambre des communes, dites-vous?

Des voix: Oh, oh!

Le sénateur Boudreau: La question, devrait, me semble-t-il, être réglée avant que les Québecois, les Albertains ou quiconque d'autre ne se rendent aux urnes pour répondre à une telle question. Je ne puis imaginer que l'on veuille prendre fait et cause pour la confusion, à moins d'être du groupe des séparatistes du Québec.

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais c'est pourtant ce que l'on fait avec ce projet de loi!

Le développement des ressources humaines

L'assurance-emploi-L'effet de la règle de l'intensité concernant les travailleurs saisonniers

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question au leader du gouvernement au Sénat. Je voudrais connaître son avis sur un article paru dans le Chronicle-Herald, indiquant que le gouvernement fédéral s'apprêterait à revenir sur sa promesse à l'égard de l'assurance-emploi. Voici ce qu'on y lit:

La ministre des Ressources humaines, Jane Stewart, prend ses distances par rapport au premier ministre qui a promis de régler les problèmes concernant les règles d'intensité prévues dans le régime d'assurance-emploi qui pénalisent les travailleurs saisonniers au Canada atlantique.

Cet article traitait en particulier de la province de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Lynch-Staunton: Demandez d'abord un audit.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je n'étais pas partie aux discussions qu'a pu avoir la ministre du Développement des ressources humaines, mais je peux dire que le premier ministre a fait publiquement part de sa préoccupation au sujet de cette question. Il a dit qu'il l'examinerait. Je suis sûr qu'il était sincère.

Le sénateur Lynch-Staunton: Bien sûr. Comme dans le cas de la TPS.

Réponse différée à une question orale

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse différée à une question que l'honorable sénateur Wilson a posée au Sénat le 2 mars 2000 au sujet de l'engagement du gouvernement envers le Comité des droits de l'homme des Nations Unies d'atténuer la pauvreté.

Les Nations Unies

L'engagement du gouvernement envers le comité des droits de l'homme d'atténuer la pauvreté

(Réponse à la question posée par l'honorable Lois M. Wilson le 2 mars 2000)

Le Canada a comparu devant le comité des droits de l'homme des Nations Unies à New York, le 26 mars dernier. La délégation canadienne était dirigée par l'honorable Hedy Fry, secrétaire d'État (Multiculturalisme) (Condition de la femme).

Le comité a examiné le quatrième rapport du Canada sur les mesures prises en application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques entre janvier 1990 et décembre 1994. Les questions posées par les membres du comité étaient justes et ciblées, et ont suscité un échange sincère et positif. Les efforts vigoureux de la délégation canadienne ont contribué à souligner l'engagement soutenu du Canada à respecter les droits de la personne en général et ses obligations internationales en particulier.

Une fois l'examen terminé, le comité a publié des Observations finales qui font ressortir les aspects positifs de l'engagement du Canada ainsi que des sujets de préoccupation. Des recommandations sont également formulées. Le texte intégral des Observations finales, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le quatrième rapport du Canada peuvent être consultés sur le site Internet du Programme des droits de la personne du ministère du Patrimoine canadien à l'adresse suivante: www.pch.gc.ca/ddp-hrd/.


[Français]

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je désire vous présenter un autre groupe de visiteurs dans nos tribunes. Il s'agit d'un groupe de la région de l'Estrie. C'est un groupe nommé «Les étudiantes ambassadrices et étudiants ambassadeurs de l'Estrie». Ils sont originaires de l'Afrique du Sud, de l'Algérie, du Burundi, de la Colombie, du Congo, du Gabon, de la Guadeloupe, de l'Iran, du Maroc, du Mexique et de la Tunisie. Ils sont diplômés de l'Université de Sherbrooke ou de l'Université Bishop's. Une fois retournés dans leur pays d'origine, ils seront les ambassadeurs de la région de l'Estrie. De la part de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada, ainsi qu'une bonne visite à Ottawa.
[Traduction]

(1440)

Le Conseil des anciens de la section canadienne de l'Église morave d'Amérique

Projet de loi modificatif-Message des Communes

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes le projet de loi S-14, Loi modifiant la loi constituant en personne morale le Conseil des anciens de la section canadienne de l'Église morave d'Amérique, accompagné d'un message où elles disent avoir adopté le projet de loi sans amendement.

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je demande que le Sénat examine d'abord l'article numéro 3, sous la rubrique «Affaires du gouvernement», qui concerne la deuxième lecture du projet de loi C-20.

Projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec

Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement) propose: Que le projet de loi C-20, donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je suis honoré de parrainer le projet de loi C-20, qui est sans contredit le plus important projet de loi pour le Canada que cette Chambre ait été invitée à examiner depuis de nombreuses années. Un pays très uni est le legs le plus important que nous puissions laisser aux générations à venir. Ceux qui contestent ce legs ont l'obligation d'exposer très clairement l'option de rechange.

Le projet de loi C-20 exige clarté et transparence dans toute initiative qui pourrait mener à la séparation d'une province de notre grand pays. Avant que le gouvernement fédéral n'engage des négociations sur les conditions afférentes à tout projet de sécession, il faut qu'une majorité claire se soit prononcée sur une question claire, dans un référendum.

Un observateur qui ne connaît pas bien la scène politique canadienne serait sans doute stupéfait de voir un gouvernement légiférer pour assurer la clarté, notamment sur une question d'importance aussi cruciale qu'une sécession éventuelle. Cependant, le passé nous a trop bien appris que la nécessité d'adopter une telle mesure législative est pressante. Je demande aux honorables sénateurs de se rappeler les référendums de 1980 et de 1995.

Je serai clair: rien dans ce projet de loi n'empêcherait le gouvernement du Québec de poser à ses électeurs toute question qu'il le désire. Ce projet de loi ne change en rien le droit absolu du gouvernement du Québec - ou, d'ailleurs, de tout autre gouvernement provincial - de présenter à ses électeurs une question de son choix. Cependant, le projet de loi exige que, avant d'engager toute négociation qui pourrait mener à la sécession d'une province, le gouvernement du Canada soit convaincu que la population de cette province a clairement exprimé sa volonté de faire sécession.

Pourquoi le gouvernement présente-t-il ce projet de loi maintenant, alors que la sécession semble de moins en moins populaire au Québec? Bien des gens, dont plusieurs sénateurs, ont posé la question. Le gouvernement ne le fait pas pour le plaisir. Il a beaucoup d'autres problèmes à résoudre. Toutefois, la menace constante d'un troisième référendum sur la sécession du Québec en moins d'une génération ne nous laisse d'autre choix responsable que d'agir maintenant, avant que ne s'installe l'atmosphère de crise d'une campagne référendaire. Le premier ministre du Canada a demandé au premier ministre du Québec de s'engager à ne pas tenir de référendum au cours de son présent mandat. En refusant, le premier ministre du Québec a forcé le gouvernement fédéral à aller de l'avant avec ce projet de loi.

Que vise à faire le projet de loi C-20? D'abord et avant tout, comme son titre l'indique, il vise à donner effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec. Les personnes qui ont étudié l'opinion de la Cour suprême savent que les rédacteurs ont pris sérieusement et à coeur l'avis du plus haut tribunal du Canada.

La Cour suprême a confirmé que, conformément au droit international ou à la Constitution du Canada, aucune province canadienne n'a le droit de décider unilatéralement de se séparer du reste du Canada. Le tribunal a ajouté ceci, toutefois:

Le principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de répondre au désir exprimé.

La Cour suprême a développé ce que seraient des résultats clairs qui donneraient naissance à cette obligation réciproque de négocier. Le tribunal a dit notamment ceci:

Pour être considérés comme l'expression de la volonté démocratique, les résultats d'un référendum doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu.

Honorables sénateurs, c'est exactement ce qu'assurerait le projet de loi C-20, à savoir que le gouvernement fédéral ne négocierait la sécession d'une province que si la question posée était claire et l'appui de la population, dénué de toute ambiguïté.

Je comprends que les dispositions du projet de loi sont déjà familières à de nombreux sénateurs, mais je leur demande d'être indulgents et de me laisser en exposer brièvement les grandes lignes. Le premier article porte sur la clarté de la question. Il prévoit que la Chambre des communes détermine si une question référendaire proposée est claire.

Le projet de loi prévoit un calendrier strict pour ce processus. Cet examen doit être réalisé dans les 30 jours qui suivent le dépôt ou autre publication officielle de la question par la province. Des dispositions sont prévues pour prolonger cette période de 40 jours, si la période de 30 jours tombait durant des élections générales.

Honorables sénateurs, je sais que certains ont dit que cet examen ne devrait pas être fait avant que les résultats du référendum ne soient connus. Le gouvernement croit que rien de positif ne ressort de l'attente et, en fait, que des torts considérables pourraient être faits. Une question est claire ou elle ne l'est pas. Les Québécois devraient connaître, en se rendant au bureau de vote, l'impact qu'aura le vote qu'ils s'apprêtent à faire.

Le projet de loi continue en spécifiant ce que la Chambre des communes doit prendre en considération pour déterminer si une question est claire. Il précise en particulier que la Chambre doit examiner:

[...] si la question permettrait à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant.

Le paragraphe 1(4) stipule très clairement que cette expression claire de la volonté ne peut pas résulter d'une question mettant principalement l'accent sur un mandat de négocier sans demander de façon très directe si la province devrait cesser de faire partie du Canada ou d'une question présentant d'autres possibilités en plus de la séparation du Canada. L'expérience nous apprend que ce genre de disposition est nécessaire.

(1450)

Permettez-moi de lire, pour les honorables sénateurs, la question qui a été posée aux Québécois en 1980:

Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples; cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures - autrement dit, la souveraineté - et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l'accord de la population lors d'un autre référendum; en conséquence, accordez-vous au gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada?

En 1995, la question était beaucoup plus concise, mais pas beaucoup plus claire. Elle se lisait comme suit:

Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du Projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente du 12 juin 1995?

Les chefs séparatistes du Québec maintiennent, encore aujourd'hui, que ces deux questions étaient claires. Je doute qu'il y ait en cette Chambre un seul sénateur qui serait de cet avis.

Un sondage effectué à la fin de la campagne référendaire de 1995 a révélé que près d'un électeur sur cinq qui s'apprêtait à voter OUI croyait qu'un Québec souverain continuerait d'être une province du Canada.

Le professeur Maurice Pinard, professeur émérite au département de sociologie de l'Université McGill, a présenté une analyse en profondeur des sondages et des études au comité législatif chargé d'étudier ce projet de loi à l'autre endroit. Il a déclaré:

En 1995, environ 50 p. 100 des électeurs seulement savaient que l'option souveraineté-partenariat était divisible. Les autres pensaient qu'il n'y aurait pas de souveraineté s'il n'y avait pas de partenariat en même temps. En général, tous ces éléments de confusion ont profité aux tenants de l'option souverainiste. C'était vrai en 1980, et c'était vrai aussi en 1995.

Le projet de loi C-20 empêcherait que le Canada ne soit détruit à cause d'une telle question. Si nous nous séparons, il faut que ce soit parce que cela correspond vraiment à la volonté de la population d'une province.

Le paragraphe 1(6) du projet de loi C-20 le mentionne expressément. Cette disposition prévoit que le gouvernement du Canada n'engagera aucune négociation sur la sécession si la Chambre des communes conclut que la question ne permet pas à la population d'une province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada. Voilà en quoi consiste la clarté.

Honorables sénateurs, permettez-moi de le répéter: aucune disposition de ce projet de loi ne vise à dicter à une province la question qu'elle peut ou non poser à ses électeurs dans le cadre d'un référendum. Le projet de loi établit simplement, de manière claire et précise, ce que le gouvernement du Canada peut faire ou non, selon la clarté de la question posée.

Certains se sont demandé si le projet de loi empiète sur les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Ce n'est pas le cas. Ce n'est pas là uniquement mon opinion personnelle ou celle du gouvernement du Canada. En fait, c'est l'opinion que partagent des personnalités aussi célèbres et diverses que le professeur Peter Hogg, doyen de l'Osgoode Hall Law School; le professeur Yves-Marie Morrissette, de la faculté de droit de l'Université McGill; M. Bob Rae, ex-premier ministre de l'Ontario; et M. Claude Castonguay, généralement considéré comme l'un des pères du Québec moderne. M. Castonguay, un de nos anciens collègues, a été très clair. Il a déclaré ceci:

J'ai lu le projet de loi à plus d'une reprise. J'ai lu les critiques qui en ont été faites et je suis encore incapable de voir en quoi ce projet de loi limite les compétences ou les prérogatives de l'Assemblée nationale du Québec.

M. Gil Rémillard, avocat et ex-ministre de la Justice du Québec, a quant à lui déclaré ceci:

Je considère que cet avant-projet de loi fédéral non seulement ne vient pas affecter la juridiction du Québec, mais d'une certaine façon confirme la juridiction du Québec.

La deuxième disposition du projet de loi C-20 concerne le fait de savoir si la question référendaire reçoit l'appui d'une majorité claire de la population de la province. De par sa nature même, cette évaluation doit être faite après le vote. La Cour suprême du Canada a dit très clairement que cette évaluation ne se limitait pas à un résultat de 50 p. 100 plus un des votes. Je vais citer l'extrait suivant de cet avis:

Nos institutions politiques sont basées sur le principe démocratique et, par conséquent, l'expression de la volonté démocratique de la population d'une province aurait du poids, en ce sens qu'elle conférerait légitimité aux efforts que ferait le gouvernement du Québec pour engager un processus de modification de la Constitution en vue de faire sécession par des voies constitutionnelles.

C'est sur la dernière ligne que j'attire l'attention des sénateurs. La voici:

Dans ce contexte, nous parlons de majorité «claire» au sens qualitatif.

Cette évaluation qualitative ne peut se faire à l'avance. La Cour suprême a prévu la situation, signalant que la question ne pouvait faire l'objet que d'une évaluation politique. Si le problème se résume à compter 50 p. 100 plus une voix, il n'y a aucune évaluation politique à faire. Nous n'aurions nul besoin de la participation d'acteurs politiques. Nous pourrions leur substituer une firme comptable.

De toute évidence, honorables sénateurs, la Cour suprême a reconnu qu'il y avait plus qu'une simple formule mathématique en cause dans un dossier d'une importance aussi critique pour le pays tout entier et pour la population d'une province donnée.

Le troisième article du projet de loi reflète ce que la Cour suprême a dit dans son opinion: la Constitution du Canada ne prévoit pas pour une province le droit de faire sécession unilatéralement. Une modification constitutionnelle s'imposerait. En outre, pareille modification exigerait des négociations, et ces négociations doivent faire intervenir «notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada».

En d'autres termes, honorables sénateurs, le projet de loi, tout comme l'opinion de la Cour suprême, reconnaît que la sécession d'une province ne toucherait pas que cette province, mais aussi tous les Canadiens, d'un océan à l'autre.

Moi qui suis Néo-Écossais, je peux dire aux honorables sénateurs que les habitants de ma province se soucient beaucoup de l'avenir de notre pays. Ils méritent d'avoir voix au chapitre. Par ce projet de loi, nous faisons en sorte qu'ils aient effectivement voix au chapitre.

Enfin, le paragraphe 3(2) du projet de loi énumère certaines des questions sur lesquelles les négociations devraient porter. Cette disposition s'inspire simplement de l'opinion que la Cour suprême a donnée au gouvernement.

(1500)

La sécession ne serait facile pour personne, honorables sénateurs. La Cour suprême l'a avoué ouvertement, et nous savons que c'est vrai. Comme le procureur général de la Saskatchewan l'a dit à la cour:

Les fils de milliers de concessions mutuelles tissent la toile de la nation...

Honorables sénateurs, je suis persuadé que ces difficiles négociations ne seront pas nécessaires. Tout comme moi, l'honorable Stéphane Dion est convaincu que les Québécois veulent rester Canadiens. Il a dit qu'il appuyait le projet de loi C-20 à titre de Québécois parce que ce sont les Québécois qui risquent de perdre leur pays par manque de clarté.

Honorables sénateurs, je suis persuadé que si notre pays est toujours uni, ce n'est pas par ambiguïté, comme l'a prétendu le très honorable Joe Clark, mais plutôt parce que les Canadiens veulent rester unis. La clarté est l'atout majeur des Canadiens alors que l'ambiguïté fait le jeu du Parti québécois.

Puisqu'il s'agit d'une mesure législative très importante, compte tenu du fait qu'elle porte sur l'existence même de notre pays, il n'est pas du tout étonnant de constater que le rôle attribué au Sénat a fait l'objet d'un débat animé et d'une analyse approfondie. On a beaucoup parlé du rôle actuel du Sénat dans le contexte de la décision de la Cour suprême rendue en 1998 et du rôle prévu dans le projet de loi C-20.

J'aimerais commencer par un élément sur lequel je sais que nous pouvons nous entendre, c'est-à-dire le fait que toute sécession d'une province de la fédération exigerait un amendement à la Constitution. Comme l'a souligné la Cour suprême:

La sécession d'une province du Canada doit être considérée, en termes juridiques, comme requérant une modification de la Constitution [...]. En vertu de la Constitution, la sécession exige la négociation d'une modification.

Comment ces négociations seraient-elles entreprises? Qu'est-ce qui déclencherait une demande de modification de la Constitution de cette façon? Le tribunal a donné la réponse suivante dans un paragraphe dont j'ai parlé plus tôt:

Le principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de répondre au désir exprimé.

Cela obligerait toutes les parties à négocier. Personne ne contestera, j'en suis persuadé, le fait que les parties à la Confédération dont on parle ici sont les gouvernements provinciaux et fédéral. Ce seraient là les entités qui devraient négocier les changements constitutionnels en cas d'appui clair en faveur de la séparation. Les négociations constitutionnelles ont toujours été menées entre ces deux niveaux de gouvernement.

Qui déciderait si, oui ou non, il y avait, selon la cour, «la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession»? Qui déterminerait cela? C'est important, car faute de cela, il n'y aurait pas de devoir de négocier.

La cour rejette sans équivoque l'idée qu'elle devrait décider en disant:

La Cour n'a aucun rôle de surveillance à jouer sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles. De même, l'incitation initiale à la négociation, à savoir une majorité claire en faveur de la sécession en réponse à une question claire, n'est assujettie qu'à une évaluation d'ordre politique, et ce à juste titre.

Ce paragraphe montre que la décision de se lancer dans des négociations et les négociations elles-mêmes sont des questions politiques qui font partie d'un processus continu. Comment le processus commencerait-il? Qui déciderait à l'origine s'il y a une majorité claire sur une question claire? Qui, selon le tribunal, sont les acteurs politiques qui devraient prendre ces décisions?

Même si la cour ne répond pas directement à cette question, lorsqu'elle utilise à nouveau les termes «acteurs politiques», elle dit:

[...] Il incombe plutôt aux représentants élus de s'acquitter de leurs obligations constitutionnelles d'une façon concrète que, en dernière analyse, seuls les électeurs et eux-mêmes sont en mesure d'évaluer... il appartiendrait aux dirigeants démocratiquement élus des divers participants de résoudre leurs différends.

Bien entendu, il serait difficile de faire cadrer le Sénat dans ce groupe d'acteurs politiques et il faut noter que dans son jugement, la cour parle de façon répétée des «représentants élus» et des «représentants démocratiquement élus».

Je sais que je me suis attardé longuement sur ce point, mais je pense qu'il est important de signaler pour que tout le monde le comprenne bien que, historiquement, le Sénat n'a jamais eu le pouvoir de prévenir la tenue de négociations constitutionnelles et qu'il n'y a rien dans l'avis de la Cour suprême pouvant permettre d'affirmer qu'elle voulait tout à coup confier un tel rôle au Sénat.

Même si le Sénat n'a jamais eu un tel rôle, il en va de même de la Chambre des communes. Ni le Sénat ni la Chambre des communes n'ont jamais participé à des négociations constitutionnelles. Ni l'une ni l'autre des Chambres n'a jamais été approchée pour donner sa permission au gouvernement fédéral avant qu'il choisisse de négocier avec les provinces. Il est inutile de consulter l'une ou l'autre avant que le gouvernement fédéral entreprenne des négociations constitutionnelles sur une question. C'est une réalité historique, et selon moi, l'avis de la Cour suprême de 1998 ne change rien à cette réalité.

À l'heure actuelle, il appartient à l'exécutif, soit le Cabinet, de décider s'il y a lieu d'engager des négociations concernant des amendements constitutionnels et, même si aucune des deux Chambres ne peut intervenir directement dans cette décision, notre système dit de «gouvernement responsable» confère à la Chambre des communes un levier dont nous ne disposons pas au Sénat.

Le regretté sénateur Eugene Forsey a décrit le gouvernement responsable comme un système où la Reine ou son représentant agit sur le conseil du Cabinet qui est:

[...] responsable, comptable [...]

et

[...] et doit rendre des comptes à la Chambre des communes. [...] Si le Cabinet est mis en minorité à l'occasion d'une motion de censure, d'un vote de confiance ou encore d'une motion qu'il considère comme assez importante, il doit démissionner ou ouvrir la voie à un nouveau gouvernement à la Chambre, ou encore demander la dissolution de la législature et solliciter un nouveau mandat auprès des électeurs. [...] Là où il existe une Chambre haute, le Cabinet n'est pas comptable envers cette Chambre et il n'est pas tenu de démissionner ou d'ordonner la dissolution de la législature en cours.

Selon la Cour suprême, la notion de gouvernement responsable telle qu'elle a été décrite par le sénateur Forsey constitue une des caractéristiques fondamentales de notre démocratie. Une fois de plus, je cite:

La démocratie, dans la jurisprudence de notre Cour, signifie le mode de fonctionnement d'un gouvernement représentatif et responsable et le droit des citoyens de participer au processus politique en tant qu'électeurs et en tant que candidats.

Comme nous l'avons vu, le «gouvernement représentatif» assigne des rôles très différents aux deux Chambres du Parlement, et il n'y a rien dans l'opinion de la Cour qui laisse entendre qu'elle propose un réalignement fondamental quant aux pouvoirs de ces deux Chambres. Le projet de loi sur la clarté respecte ces différents rôles, et je ferai remarquer respectueusement qu'il y a lieu de voir les choses de ce point de vue.

En l'absence d'une loi en ce sens, il n'existerait aucune limite à la prérogative du gouvernement d'engager des négociations sur la sécession d'une province, si ce n'est la confiance de la Chambre des communes, mais la limite ou contrainte à laquelle la Chambre des communes peut recourir à tout moment est d'une très grande importance. Cela veut dire que, même si le gouvernement a le pouvoir d'entamer des négociations constitutionnelles, il peut en être empêché n'importe quand au moyen d'un vote de défiance à la Chambre des communes.

(1510)

Par conséquent, loin de voir le projet de loi C-20 comme une mesure qui diminue en quelque sorte la place de notre Sénat dans le système parlementaire, je le considère comme une mesure qui renforce les principes fondamentaux du gouvernement responsable.

Le sénateur Lynch-Staunton: Eh bien, qu'on supprime notre institution si c'est cela qu'on pense de nous.

Le sénateur Boudreau: Ces principes ont été les traits caractéristiques de notre système démocratique de gouvernement depuis l'époque de la Confédération. C'est ce que fait la mesure à l'étude en donnant à la Chambre des communes, auquel le gouvernement doit rendre des comptes et qui peut forcer le gouvernement à démissionner et à dissoudre la législature, le pouvoir d'empêcher le gouvernement de s'engager dans des négociations sur la sécession à la suite d'un référendum.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous sommes au Sénat, pas à la Chambre des communes.

Le sénateur Boudreau: On devrait considérer le projet de loi C-20 comme une mesure qui fournit un mécanisme différent pour parvenir au même résultat, tout en respectant notre tradition de gouvernement responsable qui remonte à la Confédération.

Honorables sénateurs, une autre réalité de notre système de gouvernement qui doit être reconnue, et qui devrait être respectée en réalité et en principe, c'est que, en vertu de notre Constitution, le Sénat ne possède maintenant plus de droit de veto sur les modifications à la Constitution, même les modifications concernant le Sénat lui-même. Le paragraphe 47(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que le Sénat peut retarder l'adoption d'une modification à la Constitution pendant 180 jours, mais ne peut y opposer son veto. La Chambre des communes, par contre, possède un droit de veto et il est absolu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et alors?

Le sénateur Boudreau: Auparavant, le Sénat possédait un tel droit de veto, mais il l'a abandonné en décembre 1981 lorsqu'il a adopté, par 59 voix contre 23, le texte que l'on connaît maintenant sous le nom de Loi constitutionnelle de 1982. Une fois tous les débats terminés, nous avons rapatrié notre Constitution, y avons incorporé une formule de modification et mis en place une Charte des droits et libertés. La nouvelle formule de modification était essentielle, car elle a changé radicalement le rapport entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, de même que le rôle du Sénat.

À l'époque, le ministre d'État, notre collègue, le sénateur Joyal, avait déclaré ce qui suit, comme on peut le lire à la page 13499 des Débats de la Chambre des communes du 30 novembre 1981:

Aujourd'hui, nous sommes sur le point de franchir l'étape la plus importante de notre histoire constitutionnelle depuis l'avènement de la Confédération, non seulement parce que nous allons bientôt acquérir notre indépendance constitutionnelle complète, mais encore et surtout parce que nous allons nous assurer que dorénavant les provinces auront le droit strict de jouer un rôle essentiel dans l'évolution constitutionnelle de notre pays.

L'importance accordée par le sénateur Joyal à la nouvelle procédure de modification de la Constitution était en adéquation avec la réalité, car le rôle des provinces en a été révolutionné, débouchant sur un changement dans le rôle du Sénat en matière constitutionnelle. Le sénateur Austin, qui était lui aussi ministre d'État à l'époque, a parlé de ce remaniement la veille du jour où le Sénat a renoncé par vote à son veto constitutionnel. Voici ce qu'il en a dit:

[...] un accord aux termes duquel certains pouvoirs que le Sénat aurait pu exercer pour assurer l'équilibre des régions, sera désormais exercé par les provinces grâce à la formule d'amendement. Si nous n'avons pas été formellement écartés des affaires constitutionnelles, on nous a sûrement relégués dans l'ombre et, si selon la loi et la constitution, nous pourrions refuser notre approbation, je pense qu'il n'y a personne ici qui oserait affirmer que ce serait une décision opportune et que, ce faisant, nous répondions aux voeux de l'une ou l'autre région du Canada.

En fait, le rôle du Sénat comme représentant des intérêts régionaux, rôle déterminé par les provinces fondatrices en 1867, bien qu'il ait été reconnu par la Grande-Bretagne, a été en partie repris par la province suite à l'accord dont nous sommes saisis. Les pères de la Confédération n'avaient sans doute pas prévu ce rôle pour les provinces, mais elles l'exercent de toute façon.

Cependant, en ce qui concerne le pouvoir législatif qui ne concerne pas la Constitution, le Sénat reste toujours un organe législatif puissant chargé de représenter toutes les régions du Canada et toutes les communautés et minorités.

Honorables sénateurs, il a été suggéré que le Sénat devrait jouer à l'égard du projet de loi C-20 un rôle identique à celui de l'autre endroit. Toutefois, modifier le projet de loi sur la clarté afin d'accorder au Sénat un droit de veto sur la question de savoir s'il faut entamer des négociations au sujet de la sécession reviendrait effectivement à accorder un droit de veto constitutionnel au Sénat. Si le Sénat pouvait empêcher l'amorce même de négociations, le Parlement ou toute autre assemblée législative n'aurait jamais d'amendement à étudier. Je ne suis pas à l'aise avec la logique d'une proposition qui accorderait au Sénat un droit de veto sur l'aptitude du gouvernement à entreprendre des négociations alors qu'il n'exerce pas à l'heure actuelle un droit de veto sur les résultats des négociations. À mon avis, on cherche là à faire indirectement ce que la Constitution ne nous permet pas de faire directement, soit exercer un droit de veto à l'égard des amendements constitutionnels. Comment une telle proposition respecte-t-elle l'esprit de la formule d'amendement actuelle? Comment respecte-t-elle le rôle actuel du Sénat à l'égard des questions constitutionnelles, comme l'a si éloquemment exprimé le sénateur Austin dans cette Chambre il y a près de 20 ans?

Le rôle du Sénat a évolué depuis la Confédération, mais j'ai un grand capital de sympathie pour les personnes qui voient dans le Sénat le dernier rempart contre ceux qui voudraient détruire notre pays. La pensée que le Québec ou toute autre province quitte le Canada me répugne tellement que j'envisagerais moi aussi presque toutes les solutions possibles en vue d'éviter que cela se produise. Toutefois, cela ne change rien au fait que c'est un pays qui est né dans le contexte de la primauté du droit et qui s'est épanoui dans un contexte sociopolitique d'association volontaire, de consensus et de respect mutuel. Qu'adviendrait-il de ces principes si une province manifestait ce que les députés de la Chambre des communes et des assemblées législatives provinciales estiment être un désir clair de faire sécession et si le Sénat jouait effectivement un rôle de rempart final et opposait un droit de veto à toute négociation de ce genre? Quelle serait l'incidence d'une telle décision du Sénat au Canada pendant une période qui serait sans nul doute marquée par une tension et une anxiété extraordinaires?

S'il n'existe pas de volonté populaire de garder le pays intact, il ne le demeurera pas, peu importe ce que pourra faire le Sénat. À mon avis, si les deux Chambres du Parlement ont un droit de veto, la possibilité qu'elles aboutissent à des conclusions différentes au sujet d'une question si fondamentale et, partant, paralysant le Parlement, le gouvernement et le pays est très élevée, particulièrement lorsque l'on sait qu'une de ces Chambres ne possède ni le pouvoir d'obtenir la confiance du gouvernement ni un moyen de rendre directement des comptes à l'électorat.

Cela ne veut pas dire pour autant que le Sénat ne devrait pas avoir ou n'a pas de rôle à jouer dans ce processus. Comme je l'ai expliqué, en l'absence du projet de loi C-20, le gouvernement fédéral possède la prérogative sans entrave de déterminer s'il existe une majorité claire à une question référendaire claire. Le gouvernement fédéral n'aurait absolument aucune obligation de tenir compte de l'opinion du Sénat quoique, dans les faits, il devrait être à l'écoute de la Chambre des communes, à cause du risque d'une motion de censure. Si nous n'adoptons pas le projet de loi C-20, la situation demeurera inchangée.

(1520)

En adoptant le projet de loi sur la clarté référendaire, le Sénat imposerait cependant une sérieuse contrainte à la prérogative du gouvernement, une contrainte qu'aucun gouvernement ultérieur ne pourrait supprimer sans le consentement explicite du Sénat, par le truchement d'une nouvelle loi. D'autre part, pour la première fois, le gouvernement devrait obligatoirement tenir compte de l'opinion du Sénat avant d'exercer sa prérogative et d'engager des négociations. Les paragraphes 1(5) et 2(3) du projet de loi C-20 stipulent que la Chambre des communes «tient compte [...] des résolutions ou déclarations officielles du Sénat...» concernant la clarté de la question et la majorité. Le gouvernement n'aura aucun pouvoir discrétionnaire dans ces deux cas. Il devra tenir compte de l'avis du Sénat avant de décider d'engager ou de ne pas engager des négociations.

Honorables sénateurs, les Canadiens n'ont jamais choisi la voie étroite. Alors que d'autres pays croyaient qu'un pays se façonne sur la base d'une seule identité nationale, nos deux peuples fondateurs ont fondé le Canada sur le principe du respect de la diversité culturelle et linguistique.

Aujourd'hui, une fois de plus, nous traçons la voie qui nous est propre. En adoptant le projet de loi C-20, nous annonçons au monde que nous sommes un pays qui pratique le respect mutuel de ses habitants. Nous ne contraindrons le peuple d'aucune province, que ce soit par la force ou la ruse, à demeurer au sein du Canada. Par ailleurs, nous avons bon espoir que si les Québécois, comme tous les autres Canadiens du reste, ont à faire un choix clair, ils opteront toujours pour le Canada.

La décision d'adopter le projet de loi C-20 a-t-elle été aisée et sans risque? Bien sûr que non. Le premier ministre nous disait, en fin de semaine dernière, au cours du congrès biennal du Parti libéral du Canada, à quel point la décision avait été difficile à prendre et il nous faisait part de ses préoccupations personnelles. Il n'est pas facile de diriger, surtout si l'on tient compte de la gravité des conséquences d'un échec. Diriger ne signifie pas ne pas avoir peur, mais cela signifie ne pas se laisser dominer par la peur. L'énormité de la tâche ne nous dispense pas de nous y attaquer.

Les témoins qui ont comparu devant le comité législatif de l'autre endroit chargé d'examiner le projet de loi C-20 ont fait état des résultats positifs que ce projet de loi a déjà produits. Les Québécois ne risqueront plus de perdre leur pays en répondant à une question ambiguë. Ils ont le droit absolu de faire partie de ce pays qu'ils ont contribué à fonder.

Le gouvernement entend respecter et préserver ce droit des Québécois comme des Canadiens de tous les territoires et des provinces. Nous ne jouerons pas l'avenir du pays aux dés. Le gouvernement aborde les questions sérieuses de front, confiant que si la question est claire, la réponse le sera aussi. La réponse, pour les générations passées, présentes et futures, c'est le Canada.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, je limiterai mes observations car j'ai été estomaqué par certaines interprétations extraordinaires du rôle du Sénat.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Lynch-Staunton, avez-vous l'intention de prendre la parole?

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une question à poser au ministre. Cependant, avant de commencer, je voudrais dire que ma première réaction à l'interprétation extraordinaire que le leader du gouvernement donne du rôle du Sénat dans différents domaines sera très prudente. J'ai cependant l'impression que ces interprétations réjouiront des gens comme MM. Gallaway et Nystrom, qui trouvent le Sénat complètement inutile. Certains arguments avancés par le leader du gouvernement pourront certainement être repris par ces gens lorsqu'ils dénoncent notre institution.

Cela étant dit, le leader a passé un certain temps à tenter d'expliquer pourquoi le Sénat ne devrait jouer absolument aucun rôle dans le processus de modification de la Constitution et dans tout ce qui précède une telle modification. Cependant, la cour n'a pas dit qui devait évaluer la question et le résultat. Le gouvernement a décidé que seule la Chambre des communes devait jouer un rôle à cet égard.

Ma question au leader du gouvernement est la suivante: mis à part ce qui se passera une fois les résultats connus, le ministre reconnaîtra-t-il que seule la Chambre des communes, c'est-à-dire le gouvernement, doit évaluer la validité de la question et la validité des résultats et que le Sénat doit se contenter de jouer un rôle de consultant en attente?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, l'avis de la Cour suprême, que j'ai trouvé rigoureux et exceptionnellement utile, et qui a servi de fondement au projet de loi C-20, n'exige pas que la Chambre des communes ou le Sénat jouent un rôle. L'examen de la clarté de la question et des résultats aurait pu être confié au pouvoir exécutif. Cependant, l'exécutif a sagement choisi de faire participer la Chambre des communes, un organisme constitué par les représentants élus du peuple canadien, peuple dont il faut gagner la confiance avant que le gouvernement puisse faire quoi que ce soit et certainement avant de faire quelque chose d'aussi crucial que la négociation d'un changement constitutionnel.

Historiquement, aucune exigence particulière n'était imposée à l'une ou l'autre Chambre dans la négociation des changements constitutionnels. Cela ne veut pas dire que l'opinion du Sénat ne constitue pas un élément important du processus. Je crois que le débat qui aurait lieu ici et son résultat auraient une valeur directive certaine.

Au bout du compte, le projet de loi ne donne pas au Sénat le pouvoir, et je serai très franc à ce sujet, d'empêcher la tenue de négociations, pas plus que d'empêcher d'adopter une modification constitutionnelle qui découlerait de ces négociations.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ma question ne porte ni sur les négociations ni sur les amendements. Elle est la suivante: pourquoi le Sénat du Canada est-il mis à l'écart du processus décisionnel quant à la validité de la question? Il ne s'agit pas d'une obligation de consulter le Sénat, comme l'a dit le ministre, mais seulement de le consulter. En d'autres termes, cela signifie «Donnez-nous votre avis. Nous le prendrons en considération, mais c'est tout ce que nous avons à en faire.»

Pourquoi le leader du gouvernement au Sénat et son caucus estiment-ils que le rôle du Sénat dans l'éventuel éclatement du pays, particulièrement durant les étapes préliminaires visant à déterminer si la question est valide, n'est absolument pas pertinent? Le leader dit-il ainsi que la Chambre des communes, en tant que seule Chambre élue, devrait être l'autorité ultime? Si ce qu'il dit à ce sujet est juste, pourquoi cela ne l'est-il pas pour le projet de loi? Ce que je l'ai entendu dire, c'est que les parlementaires élus devraient avoir l'autorité ultime quant à l'éclatement du pays et déterminer si la question et la majorité sont claires. Si tel est le cas, pourquoi sommes-nous ici à examiner ce projet de loi? Pourquoi nous saisir de ce projet de loi si nous n'avons aucun rôle à jouer dans l'affaire?

Le sénateur Rivest: Nous sommes un groupe de pression!

Le sénateur Boudreau: Tout d'abord, d'après le Sénat, ce n'est pas facultatif, c'est obligatoire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est pas obligatoire.

Le sénateur Boudreau: Le mot «shall» indique une instruction obligatoire. L'opinion du Sénat sera prise en considération après débat et je ne peux que croire qu'elle le sera très sérieusement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Elle peut être rejetée.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, aucun d'entre nous n'espère ou ne croit que nous en arriverons jamais là, mais si cela se produit, le Sénat jouera alors le même rôle qu'il jouerait depuis 1981 pour toute autre modification de la Constitution.

(1530)

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au sénateur. Dira-t-il aux sénateurs où, selon la Cour suprême, il trouve la justification de ses observations selon lesquelles il incombe aux représentants élus de déterminer la question?

Dans le sixième paragraphe du préambule du projet de loi, on lit:

Attendu [...] que, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada a conclu qu'il revient aux représentants élus de déterminer en quoi consistent une question et une majorité claires...

Dans le paragraphe 1(3), on lit que c'est la Chambre des communes. Le sénateur a dit dans ses observations que les rédacteurs du projet de loi avaient cet avis à coeur. Où, dans l'avis de la Cour suprême, est-il écrit que celle-ci prévoit qu'il revient aux représentants élus de déterminer la question?

La cour prévoit dans son avis qu'il reviendra aux «acteurs politiques» de déterminer la clarté de la question et de celle de la majorité. Elle prévoit, dans un autre passage de l'avis, qu'il reviendra aux acteurs politiques de déterminer ce qui constitue une majorité claire et une question claire.

Où, dans le projet de loi ou l'avis de la Cour suprême, les sénateurs trouvent-ils la mention des représentants élus?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, au cours de mon discours, j'ai cité certains passages de l'avis de la Cour suprême. Ces passages renfermaient les mots «représentants élus». L'avis de la Cour suprême précise clairement que telle était son intention.

Dans mon argumentation, j'ai tenté d'expliquer plus tôt aux sénateurs que le projet de loi prévoit un rôle particulier pour les représentants élus qui, à tout point du processus de négociation, constitutionnel ou autre, ont effectivement la capacité de ne pas accorder à l'exécutif la possibilité ou le droit de poursuivre pareille activité.

Le sénateur Kinsella: L'argument du sénateur n'est-il pas que ce projet de loi repose sur l'avis de la Cour suprême du Canada? Si c'est le cas, pourquoi le projet de loi n'est-il pas conforme à cet avis? Ce n'est qu'au paragraphe 101 de l'avis que la cour fait allusion à une troisième phase de négociations. Il est prévu à ce paragraphe que la cour pourrait être incapable d'exercer une fonction de supervision relativement aux négociations, et que cela reviendrait alors aux «acteurs politiques» et, en dernière analyse, aux «représentants élus» qui, je le répète, doivent rendre compte à l'électorat. Il s'agit du processus de négociation.

En déterminant en quoi consiste une majorité claire en réponse à une question claire, la cour a employé l'expression «acteurs politiques», et pas «représentants élus».

Le sénateur Boudreau: Ai-je raison de conclure que le sénateur convient que la capacité et le pouvoir de mener les négociations seront entre les mains des représentants élus? Est-ce bien ce que le sénateur vient de dire?

Le sénateur Kinsella: Je vais clarifier ma question. Dans son allocution, le sénateur Boudreau nous a dit que seuls les députés de la Chambre des communes pourraient déterminer en quoi consiste une majorité claire en réponse à une question claire. Il dit que ce projet de loi repose sur l'avis de la Cour suprême.

La Cour suprême dit clairement dans son avis qu'il reviendra aux «acteurs politiques» de déterminer en quoi consiste une majorité claire en réponse à une question claire. Dans un autre paragraphe de l'avis, et je répète, on dit qu'il reviendra aux «acteurs politiques» de déterminer en quoi consiste une majorité claire en réponse à une question claire.

La Cour suprême ne parle pas d'une majorité claire à une question claire, mais plutôt des négociations. C'est à propos des négociations que la cour dit qu'elle n'aura aucun rôle de surveillance à jouer, qu'il reviendra aux acteurs politiques, notamment aux représentants élus, qui seront tenus responsables par l'électorat, de déterminer si ces négociations sont acceptables ou non.

Je reviens sur la déclaration de l'honorable sénateur pour demander des clarifications. Il a fait valoir un argument fondé sur l'avis du tribunal, mais l'avis du tribunal ne dit rien de tel. L'honorable sénateur pourrait-il donner des explications?

Le sénateur Boudreau: La position qui sous-tend le projet de loi est parfaitement compatible avec l'avis de la cour. Si le sénateur Kinsella y voit des contradictions, je serais heureux qu'il les relève.

La définition de l'expression «acteurs politiques» et la manière dont la cour l'entend apparaissent clairement quand on lit l'avis dans son ensemble. Je pourrais relire les citations que j'ai données plus tôt concernant précisément le fait de remplir les responsabilités qui, aux termes du projet de loi, découlent d'une résolution prise à la Chambre des communes. D'après moi, cela est entièrement conforme à l'avis de la Cour suprême.

Je serais heureux d'en discuter plus longuement avec l'honorable sénateur, s'il le désire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, le ministre pourrait-il nous dire si, selon lui et le gouvernement, la définition de l'expression «acteurs politiques» désigne le Parlement du Canada sans la Couronne et sans la Chambre des communes? Nous avons toujours considéré que le Parlement était composé de deux Chambres, renfermant toutes deux des acteurs politiques. Le gouvernement nous dit maintenant que, dans ce cas, il n'y a qu'un acteur politique et que ce n'est pas le Sénat.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, il faut se demander ici si le Sénat devrait légalement pouvoir exercer un droit de veto à l'égard des négociations. Aux termes du projet de loi C-20, ce n'est pas le cas. Le fait d'exprimer l'avis qu'une question est claire ou que le résultat est clair détermine si les négociations doivent commencer ou non. En réalité, il revient aux députés élus de s'acquitter de cette responsabilité.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, parlant d'acteurs politiques, quelle est la réponse aux amendements très raisonnables et modérés que propose l'Assemblée des Premières Nations? L'honorable sénateur a dû recevoir, comme nous tous je crois, une lettre de M. Phil Fontaine, chef de l'Assemblée des Premières Nations, proposant des amendements qui incluraient les peuples autochtones sur la listes des consultants.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je crois qu'un amendement à cet effet a été proposé et adopté à l'autre endroit. J'y suis favorable.

Le sénateur Murray: Le gouvernement est-il d'accord avec la position adoptée, au nom de la Cour suprême du Canada, par certains avocats représentant les peuples autochtones, selon laquelle il ne peut y avoir le moindre changement de statut pour les peuples autochtones du Québec vis-à-vis de la Couronne et du Parlement fédéral sans leur consentement?

Le sénateur Boudreau: Je n'ai jamais lu un tel avis. Je ne prends jamais de décisions et je ne donne jamais mon opinion à propos de positions que je n'ai pas vues.

Si j'ai bien compris, l'amendement adopté donne un rôle consultatif aux peuples autochtones. En fait, leur avis sera pris en considération.

Le sénateur Murray: Il s'agit de déterminer si les peuples autochtones du Québec peuvent être retirés du champ de compétence de la Couronne fédérale et du Parlement sans leur consentement. Quelle est la position du gouvernement sur ce point?

(1540)

Le sénateur Boudreau: En ce qui concerne les peuples autochtones, je peux seulement répéter ce que j'ai déjà dit: l'amendement proposé accordant un rôle aux peuples autochtones sera adopté et je suppose qu'il recevra aussi l'aval du Sénat.

Le sénateur Murray: Permettez-moi de poser une question concernant un autre aspect du discours du ministre. Il a lu les questions manifestement tortueuses qui ont été posées lors des référendums de 1980 et 1995 au Québec. Le ministre est-il d'avis que les 85 p. 100 des électeurs du Québec qui se sont présentés aux urnes lors du référendum de 1980 et les 94 p. 100 des électeurs qui se sont présentés en 1995 l'ont fait parce qu'ils comprenaient mal l'enjeu?

Le sénateur Boudreau: Je suis certain que tous les électeurs ont pris la question très au sérieux. Je ne suis pas certain qu'ils aient tous compris les conséquences de leur vote.

Le sénateur Murray: Je crois que l'honorable sénateur insulte l'intelligence des électeurs québécois.

Le sénateur Kinsella: Dans son allocution, le sénateur parle de la troisième étape du processus de sécession, à savoir des négociations. Si celles-ci aboutissent, il faudrait alors modifier la Constitution. D'après le sénateur, quelle formule d'amendement s'appliquerait alors?

Le sénateur Boudreau: Je m'excuse. J'étais distrait lorsque le sénateur a posé sa question.

Le sénateur Kinsella: Ma question est bien simple: quelle formule d'amendement de la Constitution s'appliquerait après les négociations de la troisième étape de ce processus de sécession?

Le sénateur Boudreau: Je ne m'attends pas à ce que de telles négociations aient jamais lieu mais, dans le cas contraire, la formule d'amendement serait celle en vigueur à ce moment-là.

Le sénateur Kinsella: Si c'était aujourd'hui, laquelle des trois formules existantes s'appliquerait: l'unanimité, les 7/50 ou l'accord bilatéral?

Le sénateur Boudreau: La formule d'amendement qui s'appliquerait à la Constitution serait celle qui...

Le sénateur Nolin: Celle qui peut s'appliquer.

Le sénateur Boudreau: Celle qui peut s'appliquer, oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce là votre réponse définitive?

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le discours du leader du gouvernement à l'étape de la deuxième lecture. Je rappellerai au ministre que le gouvernement n'a pas voulu que la Cour suprême se prononce sur la question de la formule d'amendement. Nous aurons tous le loisir de prendre la parole à ce sujet.

En vertu de quelle autorité constitutionnelle le gouvernement se croit-il habilité à présenter au Parlement le projet de loi C-20?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Au plan de la compétence, l'exécutif a le pouvoir de restreindre légalement son champ d'activité. Dans ce cas, il décide d'indiquer clairement dans la loi quelles limites il va mettre au pouvoir qu'il possède habituellement, à savoir celui de négocier des modifications constitutionnelles, qu'il a toujours eu.

[Français]

Le sénateur Nolin: Il ne faut pas confondre la négociation et le résultat de la négociation. On n'a aucun problème, tout le monde est d'accord, le Parlement a le droit d'y participer, a posteriori, après la négociation. Le gouvernement introduit un projet de loi dans lequel, a priori, une partie du Parlement aurait le droit de limiter l'action de l'exécutif. C'est votre réponse et elle n'est pas complète. Votre projet de loi se base sur une autorité constitutionnelle. Vous nous dites que l'autorité constitutionnelle existe parce que l'exécutif s'impose une restriction. C'est beaucoup plus que cela. Le Parlement est invité à décider de la possibilité de la sécession de ce pays. En vertu de quelle autorité constitutionnelle le gouvernement se croit-il habilité à introduire une telle législation?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Ce qui est envisagé dans le projet de loi, c'est une limitation du pouvoir normal de l'exécutif d'entamer des négociations ou des discussions. La limitation est prévue dans le projet de loi qui a été adopté à l'autre endroit et dont nous sommes saisis. On peut présumer qu'il sera adopté ici également. Des limites seront imposées à la latitude dont le gouvernement dispose normalement dans son action. Le gouvernement peut légiférer pour définir l'activité de l'exécutif dans différents domaines.

Le sénateur Nolin: Je ne conteste pas le pouvoir de gouverner de l'exécutif. Personne ne le conteste. Vous demandez à un organe législatif de niveau fédéral de prendre une décision. C'est donc que vous êtes convaincus que nous, le Parlement, avons le pouvoir de prendre cette décision.

Vous pouvez négocier tout ce que vous voulez. Après, l'affaire passe au plan politique et vous devez consulter les électeurs et voir ce qu'ils pensent.

Maintenant, c'est différent. Vous demandez au Parlement de prendre une décision. Je vous demande si vous avez le pouvoir de le faire. Puisque vous répondrez certainement par l'affirmative, je vous demande d'où vous tirez le pouvoir de le faire.

Le sénateur Boudreau: Vous avez raison, je répondrai par l'affirmative. Nous nous fondons sur le même pouvoir qui permet à l'exécutif de définir ou de limiter le champ de ses activités. Il peut faire adopter une loi disant qu'il ne peut conclure certains accords avec diverses provinces. S'il le souhaite, il peut adopter des dispositions sur tout ce qui relève normalement de ses pouvoirs exécutifs. C'est précisément ce qui se passe dans ce cas-ci.

Le sénateur Nolin: Le leader comprend sûrement que, si nous légiférons, la Cour suprême aura son mot à dire. Or, la cour a dit dans son opinion qu'elle n'a pas son mot à dire. Ce n'est pas à elle de décider, mais aux acteurs politiques. L'action politique ne se traduit pas toujours par des mesures législatives. Le gouvernement a opté pour l'adoption d'une loi, de sorte que la cour pourra être appelée à intervenir dans le débat et dire que vous avez ou non le droit d'agir de cette manière. Mais c'est le gouvernement qui a pris cette décision. Je voudrais savoir pourquoi il l'a prise et en vertu de quel pouvoir constitutionnel. Je ne remets pas en question le pouvoir de l'exécutif.

Le sénateur Boudreau: Si un jour ces événements se produisaient et si les négociations étaient une possibilité, quelqu'un devrait décider. Comme je l'ai dit dans mon intervention, comment faut-il décider si les conditions exposées dans l'opinion de la Cour suprême ont été respectées? La Cour suprême ne veut pas décider. Nous ne pouvons pas restreindre de façon absolue l'accès à la cour, mais celle-ci ne veut pas prendre de décision.

En fait, dans ce cas-ci, le gouvernement choisit de définir dans le projet de loi son pouvoir généralement absolu d'entamer des négociations. Il prend l'initiative de le circonscrire et il le fait en faisant participer au processus les représentants élus de notre pays. Je pense qu'à tout le moins, une partie de la justification, c'est que, par l'entremise de leurs représentants élus, les Canadiens ont la possibilité d'exprimer leurs opinions.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: L'honorable sénateur a parlé de la modification de 1982. Il est vrai que le Sénat a perdu une partie de ses pouvoirs. C'était toutefois à la suite d'une modification constitutionnelle, pas de l'adoption d'un projet de loi ordinaire. Le leader a dit que ce projet de loi est un projet de loi ordinaire, à l'égard duquel cette Chambre peut exercer un veto absolu. Il est vrai que si ce projet de loi n'est pas accepté à cet endroit, il n'ira pas plus loin.

En décidant de négocier en empruntant la voie législative, le gouvernement court le risque que la cour donne son interprétation du résultat.

(1550)

C'est là le premier risque. Le deuxième, évidemment, c'est que les deux Chambres du Parlement seront visées, car le Parlement comprend deux Chambres. Le gouvernement pouvait négocier au niveau exécutif. Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas choisi cette solution, comme il l'a toujours fait depuis la Confédération. Par contre, dès qu'on emprunte la voie législative, on confère nécessairement un pouvoir à cet endroit. Le Parlement est composé de deux Chambres.

L'honorable sénateur a raison. En 1982, les pouvoirs du Sénat ont été restreints, mais je le répète, c'était par le biais d'une modification constitutionnelle, pas d'une loi ordinaire.

L'affaire de 1980 sur les pouvoirs du Sénat a-t-elle été prise en considération? En 1982, nos pouvoirs ont été réduits, mais ce fut la seule fois. Comment pouvons-nous dire que, par le fait d'une simple loi, nous ne formons pas une Chambre législative égale?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, tout d'abord, l'exécutif a le pouvoir de négocier des modifications constitutionnelles chaque fois qu'il le veut. Il l'a fait dans le passé. Il pourrait le faire si ce projet de loi était rejeté au Sénat; il pourrait continuer de négocier des modifications constitutionnelles. Il peut le faire sans renvoyer la question au Sénat, sans la renvoyer à la Chambre des communes non plus, mais certainement sans la renvoyer au Sénat.

En effet, ce projet de loi ne prive pas le Sénat d'un rôle qu'il aurait eu à jouer autrement. Sans cette mesure législative, le Sénat n'aurait aucun rôle à jouer avant les négociations.

Le sénateur Beaudoin: Honorables sénateurs, on nous demande de voter en faveur de ce projet de loi, mais il est très difficile de le faire. Je suis généralement d'accord sur la clarté. J'exige la clarté en tout. Je veux sauver le Canada et je suis un fédéraliste convaincu. Ce n'est pas mon problème. Mon problème, ce sont les moyens employés par le gouvernement pour arriver à cet objectif. Je ne vois pas comment moi, un sénateur, je pourrais voter en faveur d'un projet de loi qui laisserait le Sénat sans aucun pouvoir. En tant que sénateur, cela m'inquiète.

Peut-être peut-on modifier le projet de loi. Si je dis «oui» à ce projet de loi, j'aimerais bien que cette Chambre ait un rôle à jouer dans le processus.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, ce projet de loi doit être adopté par les deux Chambres comme toute mesure législative. S'il n'existait pas, le Sénat n'aurait aucun rôle à jouer dans les négociations. Il en aurait un à jouer seulement en cas de modification de la Constitution si les négociations devaient aller jusque là. Notre rôle serait le même qu'il aurait été hier, avant-hier ou en 1981. Sans cette mesure législative, il n'aurait pas changé.

L'exécutif du gouvernement du Canada a déclaré que notre rôle allait changer. Normalement, le gouvernement n'aurait pas besoin de l'accord du Sénat ou de la Chambre des communes pour enclencher ce processus, mais il a décidé de limiter sa propre capacité et son propre pouvoir de négocier.

La prescription que le gouvernement a choisi de s'imposer, c'est l'approbation officielle de la Chambre des communes. Il a choisi, en fait, de limiter ce qui était autrement un droit absolu de négocier. La situation demeure la même qu'hier, la semaine dernière ou il y a dix ans. Personne n'est en train de changer cela. Il est simplement question de négocier. Le gouvernement a choisi de limiter son droit normalement absolu d'une façon particulière.

L'honorable sénateur peut ne pas être d'accord avec la façon dont le gouvernement a choisi de limiter son pouvoir. Si le gouvernement choisit de faire ainsi, il aurait pu préférer que la Chambre des communes et le Sénat devraient voter et donner leur accord. Ce devrait être une condition préalable. C'est peut-être ce que préfère mon collègue.

Le sénateur Beaudoin: Nous sommes deux Chambres, deux acteurs, pour utiliser l'expression de la Cour suprême. On nous demande de donner notre aval et de parler en faveur du projet de loi, mais dorénavant, l'honorable sénateur n'est plus un acteur.

Le sénateur Boudreau: Les dispositions s'appliqueront afin qu'un débat puisse avoir lieu dans cette enceinte et qu'une résolution puisse être adoptée. Je ne peux imaginer qu'un gouvernement prenne une telle résolution à la légère.

Je le dis avec le plus grand respect. Je respectais cette institution avant de venir ici et ce respect n'a fait qu'augmenter de façon marquée depuis.

Je ne suis pas d'accord avec le sénateur Beaudoin. Le Sénat n'est pas pareil à l'autre endroit lorsqu'il est question de questions constitutionnelles. Oubliez le projet de loi. La Chambre des communes a le droit de veto ultime sur tout amendement constitutionnel, mais pas le Sénat.

L'autre différence, c'est que les Canadiens en général expriment, même si c'est de façon indirecte, leurs points de vue par l'entremise de leurs représentants élus, et il est important que leurs points de vue soient exprimés. C'est ce qu'on entend par un gouvernement responsable. Je pense cependant que le Sénat a un rôle important à jouer en l'occurrence.

Le sénateur Kinsella: Quel est ce rôle?

Le séanteur Boudreau: Le Sénat a un rôle continu et important à jouer, mais ce n'est pas le même rôle, selon moi.

[Français]

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, j'inviterais le ministre à être un peu plus prudent lorsqu'il parle des Québécois qui n'auraient pas compris la question. Je pense que les Québécois, lors des référendums de 1980 et 1995, ont été aussi intelligents que les autres Canadiens. Cette remarque s'applique autant à ceux qui ont voté OUI qu'à ceux qui ont voté NON. Des Québécois qui ont voté OUI n'auraient pas compris la question et 100 p. 100 de ceux qui auraient voté NON l'auraient comprise! Cet argument est assez bizarre. Je comprends les propos du ministre, mais je l'inviterais à être prudent lorsqu'il utilise cet argument assez bizarre.

Le ministre nous a dit que le projet de loi n'offrait aucune garantie aux Canadiens que le référendum porterait sur la sécession du Québec. Selon toute vraisemblance, ce projet de loi ne modifie pas l'article 1 du programme du Parti québécois qui, depuis 30 ans, porte sur la souveraineté-association ou la souveraineté-partenariat. Ce concept peut créer une certaine confusion, je le reconnais volontiers. Ce projet de loi n'est qu'un voeu pieux, l'expression d'une intention, d'une volonté ou d'un souhait du gouvernement fédéral. Le ministre nous dit que si la question n'est pas claire, il n'y aura pas de négociation. Le problème en est un d'unité nationale. S'il y a un référendum, s'il porte sur la souveraineté-association - c'est le programme du Parti québécois - et on sait que le projet de loi l'interdit, la question ne sera pas claire. Si le référendum est défait, c'est parfait, mais si 3 millions de Québécois votent en sa faveur, et qu'une majorité se dégage, le gouvernement fédéral dit qu'il n'y aura pas de négociation. Qu'est-ce qui arrive? Quel progrès a-t-on fait en ce qui a trait à l'unité nationale? Est-ce que ces 3 millions de Québécois disparaissent?

Je demanderais au ministre d'y réfléchir. Ce projet de loi n'apporte strictement rien à la solution du problème de l'unité nationale. Au lendemain d'un référendum avec une question non claire, une majorité incertaine, un refus de négociation, et cetera, nous aurons encore le même problème. Les Québécois vont continuer d'élire des gouvernements séparatistes et d'envoyer des députés séparatistes à la Chambre des communes. C'est une absence de politique. Est-ce que le gouvernement y a réfléchi? Qu'arrive-t-il au lendemain d'un référendum? Rien. Pas de négociation? Trois millions de Québécois disparaissent?

[Traduction]

(1600)

Le sénateur Boudreau: Premièrement, pour ce qui est de mes commentaires concernant le fait que les Québécois ne comprennent pas les conséquences, je citais une étude effectuée par un professionnel, comme je l'ai indiqué à ce moment-là. À mon avis, les Québécois des deux allégeances ne comprenaient pas clairement quel serait le résultat de leur vote. Ce n'est probablement pas inhabituel. Quoi qu'il en soit, je citais un professionnel qui a effectué une étude après-coup. C'était sa conclusion. Il est manifeste que nous avons intérêt à veiller à ce que la question soit très claire. À mon avis, l'honorable sénateur ne devrait pas être en désaccord avec cela.

Je reconnais qu'une mesure législative seule ne préservera pas l'unité d'un pays. Il a bien raison. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, la mesure législative fera clairement en sorte que si une question référendaire doit aboutir à des négociations, elle soit posée très clairement. À mon avis, dans ces circonstances, la population du Québec donnera une réponse très claire.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je comprends ce point de vue, mais sans vouloir aller plus loin, je signifie au leader que je tiens également à ce que le Canada reste uni, et tout le monde ici le veut. Cependant, je conteste fermement la politique du gouvernement à l'endroit de l'unité nationale. C'est une très mauvaise politique - y compris ce projet de loi et bien d'autres choses.

Plusieurs fédéralistes au Québec contestent cette politique qui risque de tromper les Canadiens. Un président du Parti libéral, entre autres, dans le comté de Berthier-Montcalm, s'oppose au leadership de M. Chrétien. Ce n'est pas parce qu'il ne l'apprécie pas, au contraire, mais comme beaucoup d'autres fédéralistes au Québec, il s'attend à une autre politique.

En ce qui concerne la compréhension de la question référendaire, faites un sondage dans le reste du Canada et vous verrez que l'immense majorité des Canadiens pensent qu'avec ce projet de loi, le prochain référendum portera nécessairement sur la sécession. C'est ce que le premier ministre du Canada a dit. Le leader du gouvernement nous dit que ce projet de loi ne dit pas cela - pour nous, il est facile de le comprendre, nous lisons le projet de loi article par article. Le lendemain où le Parti québécois va poser sa question, si jamais il y a un référendum, que diront les Canadiens: «Encore! M. Chrétien nous a menti. Nous pensions que le référendum porterait sur la sécession alors qu'il porte sur la souveraineté-association».

Vous allez nuire au principe de l'unité canadienne avec ce projet de loi, car c'est un très mauvais projet de loi. Il y a des libéraux fédéraux qui pensent cela.

[Traduction]

Bon nombre de membres du Parti libéral fédéral au Québec disent exactement la même chose que moi.

[Français]

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous rappelle que les questions sont permises après un discours, mais que nous ne pouvons tenir un débat.

[Traduction]

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, l'essence de ce projet de loi consiste à déterminer ce que sont une question et une majorité claires. Si le gouvernement obtient ce qu'il veut en ce qui concerne un processus visant à déterminer ce que sont une question et une majorité claires, serait-il disposé à accueillir un amendement précisant quels seront les acteurs politiques qui se prononceront à ce sujet? Le gouvernement serait-il disposé à accueillir un amendement précisant que les acteurs politiques chargés de déterminer la question et l'étendue de la majorité se trouvent au Parlement du Canada, qui comprend le Sénat?

Le sénateur Boudreau: Je respecte le point de vue de l'honorable sénateur à ce sujet. Toutefois, la mesure législative est claire. Il n'existe pas de confusion quant à l'organe qui est chargé de se prononcer, et c'est la Chambre des communes. L'honorable sénateur peut ne pas être d'accord et dire qu'à son avis, ce n'est pas approprié, mais cela est très clair dans le projet de loi C-20. Comme je l'ai dit, c'est que dans cette situation, l'exécutif cherche à prescrire sa propre sphère d'activité normalement absolue de la façon dont le prévoit le projet de loi. Étant donné que la Chambre des communes possède un droit de veto sur la mise en oeuvre du processus, il n'a pas envisagé la possibilité d'offrir aussi ce droit de veto au Sénat.

Le sénateur Roche: Honorables sénateurs, si le gouvernement n'est pas ouvert à l'idée d'un amendement stipulant que le Sénat doit être considéré comme un acteur politique dans cette affaire, serait-il à tout le moins ouvert à l'idée de mettre le Sénat dans une catégorie distincte, au lieu de l'assimiler avec les autres instances, comme c'est le cas dans le paragraphe 2(3), afin que le Sénat, en tant que composante du Parlement, puisse être considéré comme ayant un rôle particulier à jouer dans la détermination de ce que doivent être une question claire et une majorité significative?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, les joueurs qui, comme le Sénat, devront être consultés et auront leur mot à dire sont des joueurs très importants. Il s'agit des provinces, du Sénat et à présent, avec l'amendement proposé, des peuples autochtones. Je crois que l'exigence énoncée est très importante. Le projet de loi suivra son cours et d'autres discussions auront lieu, mais je crois à ce stade-ci que le rôle du Sénat, tel qu'il est clairement défini maintenant, devrait rester inchangé.

Le sénateur Roche: Je n'ai pas dit que les autres instances ne sont pas des joueurs importants. Bien sûr que ce sont des joueurs importants - les autochtones, les provinces et ainsi de suite. Ma question est la suivante: est-ce vrai que le Sénat, en tant que composante du Parlement du Canada, occupe une position beaucoup plus élevée, voire une position suprême? Le Parlement du Canada est suprême, et nous faisons partie du Parlement.

Ce qui est au coeur de la question de savoir qui décidera de la clarté d'un référendum, c'est le fait que, par le biais de ce projet de loi, le statut du Sénat a été revu à la baisse.

(1610)

Je demande de nouveau sincèrement et respectueusement au ministre: est-ce que nous ne pourrions pas alléger les préoccupations sincères que l'on retrouve dans cette Chambre en retirant, dans le projet de loi, le Sénat de la liste des autres groupes pour en faire une entité distincte?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je dois avouer que je ne suis pas certain de comprendre ce que le sénateur a à l'esprit. Peut-être aurons-nous la chance d'en discuter plus à fond plus tard. S'il propose que le projet de loi soit refondu pour que le Sénat obtienne un certain droit de veto dans le cadre du processus, je dirais que c'est peu probable. Nous pourrions toutefois en discuter pour que je comprenne mieux ce qu'il a à l'esprit.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, le ministre a soulevé des éléments originaux et très intéressants au sujet du Sénat aujourd'hui. Au moment des célèbres débats sur la TPS qui ont eu lieu dans cette Chambre, nous avions clairement compris que si le Sénat faisait échouer le projet de loi sur la TPS, cela entraînerait très certainement la dissolution du Parlement, ou à tout le moins la démission du gouvernement. Nous n'étions pas les seuls à le croire. Le gouvernement du temps le croyait également, tout comme M. Mulroney et notre leader, l'ex-sénateur McEachen. Je me souviens que le gouvernement a utilisé tous les moyens dont il disposait pour s'assurer que le projet de loi sur la TPS ne soit pas battu, parce qu'une telle défaite aurait signifié la défaite du gouvernement. Le leader du gouvernement au Sénat a tort lorsqu'il exprime la position du Sénat dans le cadre de la Constitution.

D'une façon ou d'une autre, honorables sénateurs, nous devons trouver le moyen de cristalliser le rôle du Sénat en général, en dehors des cadres du débat sur ce projet de loi en particulier. Plusieurs personnes se trouvent en mauvaise position. Cela ne devait servir qu'à présenter mes questions.

J'arrive à ma première question. Vous avez cité le paragraphe 1(3), qui précise que la Chambre des communes détermine si la question permettrait à la population de la province d'exprimer clairement sa volonté, ainsi de suite. Vous avez très clairement expliqué que, des points de vue politique et constitutionnel, le Sénat est une institution différente de la Chambre des communes. Je voudrais un éclaircissement sur la question suivante: n'est-il pas juste d'affirmer que, dans le système constitutionnel qui est le nôtre, l'avis de la Chambre des communes est calqué sur celui du gouvernement du Canada?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, cela peut être vrai, mais pas nécessairement. Il en dépend, je suppose, de beaucoup de circonstances. Je pourrais imaginer des cas où l'avis des Communes pourrait être dissocié de celui du gouvernement. Je songe notamment aux périodes où le gouvernement est minoritaire. J'ai indiqué que si jamais nous devions nous trouver dans cette situation cauchemardesque, que personne ne souhaite ou ne croit devoir se réaliser, le Sénat jouera un rôle de premier plan, mais il n'aura pas de droit de veto sur le processus. Je le reconnais librement et c'est ce qui nous différencie de l'autre Chambre. La Chambre des communes disposera en effet d'un droit de veto sur le processus, mais pas le Sénat. C'est précisément ce qui est prévu dans toute modification solennelle de la Constitution.

Le sénateur Cools: Ce que je tente de clarifier, c'est la relation qui existe entre la Chambre des communes et le gouvernement du Canada. J'attendais des commentaires sur cette question particulière et bien précise. Les auteurs de ce projet de loi savent très bien que l'opinion du gouvernement est l'opinion de la Chambre des communes et que ce fait seul est d'une importance cruciale pour ceux qui cherchent à prédire les résultats politiques. Il ne fait aucun doute que tout vote de la Chambre lancé par le gouvernement sera soumis à la discipline de parti des whips. C'est une question, honorables sénateurs, qui n'a pas été abordée. C'est une méthode utilisée pour obtenir une opinion unique. C'est un raccourci pour obtenir une opinion unique.

Ma seconde question porte sur les acteurs politiques. Plus tôt, dans ses remarques, le leader a parlé de représentants élus, et je crois que c'est le sénateur Kinsella qui a lancé toute la question des représentants élus. L'expression «acteurs politiques» est une expression créée par la cour. Elle ne figure ni dans la loi ni dans la Constitution du Canada. C'est une expression trompeuse. Voilà un autre point. Je ne suis pas un acteur politique, honorables sénateurs. Lorsque je prends la parole en cette Chambre, je suis une parlementaire.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Cools: Lorsque je m'adresse à des gens à titre politique, je suis une personne politique. Une étude sommaire du jugement de la Cour suprême du Canada suffit pour voir que ce n'est pas par accident qu'on y emploie l'expression «acteurs politiques». Si la cour avait voulu être claire, elle aurait parlé des participants au processus au Canada, à savoir la reine ou l'État et la Chambre des communes et le Sénat. La cour n'a donc pas contribué à la clarté.

Comme la cour a dit que ces questions de sécession doivent être examinées par les soi-disant acteurs politiques et représentants élus, qui excluent selon vous les sénateurs parce que les sénateurs ne sont pas élus, je pose la question suivante au leader: d'où la Cour suprême du Canada tient-elle le pouvoir de prendre les décisions politiques qu'elle a prises à l'égard des opinions qu'elle nous a données sur le processus et la méthode de sécession, après nous avoir d'abord dit que ni la Constitution canadienne ni aucune autre loi ne prévoient la sécession?

Comment la cour peut-elle dire que des personnes non élues ne peuvent pas prendre de telles décisions alors qu'elle a elle-même pris une décision politique même si, aux dernières nouvelles, ses propres membres ne sont pas élus?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, c'est difficile à concevoir, mais la cour aurait pu rédiger un projet de loi en tant qu'exemple de la façon dont les choses devraient marcher à son avis. Elle ne l'a pas fait, et je crois que c'est sage. Elle a donné son opinion à la demande du gouvernement fédéral, et c'est son droit légitime.

Comme le gouvernement fédéral a ainsi décidé de conditionner son pouvoir habituellement absolu de négocier, il lui incombe d'être conséquent avec l'opinion. Il ne tire pas les dispositions du projet de loi du jugement. La cour n'a pas rédigé la mesure législative. Toutefois, le gouvernement croit, et je partage son point de vue, que le projet de loi est conforme à l'opinion émise par la cour à tous égards. Quant à savoir si vous estimez qu'il s'agit ou non d'une bonne mesure, c'est une autre question. Pour ce qui est de savoir si le gouvernement canadien aurait dû limiter le droit de veto à la Chambre des communes ou s'il aurait dû l'étendre au Sénat, c'est là une question de choix politique. Le gouvernement a choisi de ne pas le faire. Il y avait à cela une raison, que j'ai expliquée plus tôt. Cette décision ne réduit d'aucune façon les pouvoirs que le Sénat du Canada possède déjà.

(1620)

Le moment venu, le Sénat est appelé à jouer un rôle majeur en vertu de cette mesure législative. D'autres auraient peut-être rédigé le projet de loi de façon différente, de manière à y inclure d'autres entités mais, essentiellement, la Chambre officialise un droit de veto à l'égard des décisions de l'exécutif, droit que la Chambre des communes possède et peut exercer quotidiennement. C'est ce qu'on appelle le gouvernement responsable. La Chambre des communes possède ce droit de veto, mais pas le Sénat. En définitive, c'est l'explication que nous avons à offrir.

Le sénateur Cools: Si la cour a statué qu'il n'y avait pas de loi pour régir la sécession, sur quelle loi s'est fondé le gouvernement pour présenter ce projet de loi?

Le sénateur Boudreau: Il s'agit d'un jugement. Premièrement, le projet de loi est fondé sur une opinion émise par la Cour suprême. Il est le résultat d'une décision de l'exécutif. L'exécutif a décidé de définir ses droits de cette façon. Il avait le pouvoir de le faire. Nous avons discuté afin de savoir si la Constitution le permettait. À mon avis, elle le permet. L'exécutif a opté pour cette façon de faire.

Dans ces circonstances, comme je l'ai dit plus tôt dans mon discours et en réponse aux questions, j'invite tous les honorables sénateurs à examiner cette position avec soin.

Le sénateur Nolin: Le ministre pourrait-il me citer le paragraphe de sa décision où la Cour suprême conseille au gouvernement de légiférer? Le gouvernement avait demandé l'opinion de la cour. Peut-il me dire où la cour l'indique dans sa décision, car c'est là-dessus qu'il a fondé sa réponse à ma collègue, le sénateur Cools? Dans quel paragraphe la cour indique-t-elle que le gouvernement peut légiférer?

Le sénateur Boudreau: J'ai dit que cette mesure législative était fondée sur l'avis fourni au gouvernement. Elle est conforme à cet avis, et je le crois sincèrement. Je mets au défi le sénateur de prouver le contraire - autrement dit, de montrer où la mesure qu'a décidé de prendre un dirigeant une fois qu'on lui a fourni un avis à sa demande n'est pas conforme à l'avis en question.

Le sénateur Kinsella: L'honorable sénateur a consacré pas mal de temps dans son discours à nous expliquer la place qu'occupe selon lui le Sénat dans notre système de gouvernement. Depuis dix ans que je suis ici, j'ai toujours cru comprendre que l'une des façons pour le Sénat du Canada de communiquer avec l'exécutif, c'est de passer par le leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement communique avec cette Chambre par l'intermédiaire du leader du gouvernement. Mon expérience m'a appris ces dix dernières années - et j'ai consulté des personnes qui étaient ici depuis plus longtemps que moi, et c'est aussi leur expérience - que le leader du gouvernement au Sénat, que ce soit un homme ou une femme, perçoit son rôle comme étant de communiquer aussi dans l'autre sens.

Je comprends bien que ce qui se passe au Cabinet est confidentiel et je me rends compte que le leader du gouvernement est quelque peu limité dans ses réponses. Toutefois, je dois lui demander ceci: a-t-il fait des interventions au nom de cette institution quand cette mesure législative qui aurait pour effet de relativiser notre institution a été présentée?

Le sénateur Boudreau: Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur sur le fait que le rôle du leader du gouvernement du Sénat est de communiquer dans les deux sens. Je crois que je me suis bien acquitté de cette responsabilité et j'espère que je continuerai de le faire.

[Français]

Le sénateur Rivest: Honorables sénateurs, pour démontrer le caractère saugrenu de ce projet de loi, j'aimerais vous soumettre deux hypothèses. Si la question référendaire est la suivante: «Voulez-vous que le Québec devienne un État indépendant?», l'objectif serait d'éviter la confusion, n'est-ce pas? Par contre, si les messages publicitaires à la télévision, les panneaux publicitaires, les discours du camp souverainiste disent et répètent que le Québec est un État indépendant, doté d'une association économique et politique et que cela n'est pas inscrit sur les bulletins de vote, est-ce que ce sera légal? Ce qui sera écrit sur le bulletin de vote est important, mais si les Québécois se font dire que le but recherché est de créer un État indépendant assorti d'une association économique, ils seront aussi confus.

Voici une autre hypothèse. Le projet de loi dit que la question référendaire ne peut porter sur la souveraineté-association, que cela entraînerait un refus de négocier. Cependant, si 70 p. 100 des Québécois votent OUI, vous allez tenir combien de temps?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, selon la sagesse du jugement de la Cour suprême, on jugera de ces questions quand elles se présenteront, sans en préjuger.

Le gouvernement du Canada a pour responsabilité fondamentale de veiller à ce que la question qui sera posée aux Québécois, si elle doit mener à des négociations, soit sans équivoque et n'énumère pas toute une série d'options. Autrement dit, elle ne devrait pas se présenter comme un menu: choisissez l'option qui vous plaît, mais peu importe l'option que vous préférez, si elle permet d'obtenir une majorité, nous nous engageons dans la voie de la séparation. Je ne pense pas que ce soit ainsi qu'on puisse en arriver à une expression claire de la volonté.

Les arguments que fait valoir l'honorable sénateur diffèrent dans une certaine mesure d'autres arguments et d'autres sujets de préoccupation qui ont été soulevés. À en juger d'après les arguments qu'évoque le sénateur, je suppose qu'il s'opposerait de toute façon à l'adoption d'un projet de loi de cette nature.

Le sénateur Rivest: Oui.

Le sénateur Boudreau: Je remercie l'honorable sénateur d'apporter cette précision. Nous pouvons diverger d'opinion sur les questions, mais quand le chef de l'opposition au Sénat prendra la parole, j'espère qu'il nous dira s'il s'agit là ou non de la position de l'opposition.

Le sénateur Rivest: Je désapprouve totalement le projet de loi, car je suis d'accord avec l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Nous devons nous engager dans une bataille politique au moyen d'un référendum, non d'un projet de loi. Cela n'a absolument aucun rapport. Engagez-vous dans la bataille. Priez pour le Canada! Plaidez en faveur du Canada ou en faveur du Québec! Il s'agit d'une question politique, non d'une question ordinaire.

Le sénateur Boudreau: Je suis d'accord pour dire que les Québécois prendront la décision de rester au Canada, non pas à cause d'une mesure législative, mais parce qu'ils auront choisi le Canada. Nous aurons pour responsabilité de veiller à ce que le choix soit clair.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, j'ai voté lors de ces deux référendums. Je ne pense pas que je ne savais pas très bien ce que je faisais. Je reconnais que la question aurait pu être un peu plus claire. Cependant, je puis donner au leader du gouvernement l'assurance que ceux qui ont voté comprenaient bien l'enjeu, ce qui explique pourquoi le taux de participation au scrutin a été si élevé dans les deux cas. Peu importe comment la question est formulée, lorsqu'on va voter dans le cadre d'un référendum parrainé par les séparatistes, on comprend l'enjeu. Nous savions ce qui était en jeu. Il n'y avait aucune confusion.

(1630)

À l'instar de tous ceux qui sont allés voter, je rejette aussi l'idée avancée par certains universitaires brillants qui ont prétendu que la question était vague et que, de ce fait, personne ne l'a comprise. Je n'accepte pas cela. Je pense que des excuses ou des éclaircissements sont de mise, sinon, les millions de Québécois qui ont voté pour demeurer au sein du Canada et ceux qui ont estimé qu'un changement était préférable seront insultés. Ils savaient ce qui se passait et ce que leur vote signifiait.

Le sénateur Boudreau: Le chef de l'opposition me donne une excellente occasion de dire que je n'ai jamais voulu insulter quiconque a participé au référendum. L'étude que je mentionnais a été citée à l'autre endroit. Elle expliquait que certaines personnes étaient confuses quant aux conséquences de leur vote. C'est dans cette optique que j'ai cité l'étude. Je n'ai certainement pas voulu faire de remarques désobligeantes sur ceux qui ont participé au référendum.

L'honorable Joan Fraser: Honorables sénateurs, le leader du gouvernement sait-il que le professeur Pinard, un des plus éminents politicologues de notre pays, a fait non pas un, mais des douzaines de sondages d'opinion répartis sur une génération, sondages qui ont révélé que, de manière constante, environ 20 p. 100, et parfois même jusqu'à 30 p. 100 des personnes qui ont voté OUI ou qui ont dit qu'elles voteraient OUI si un référendum avait lieu, sont en fait un peu confuses quant à la signification de la souveraineté-association? À mon avis, ce n'est absolument pas une insulte à l'endroit des Québécois. C'est simplement un fait scientifique. Toutes les firmes de sondages qui ont posé la question ont constaté que cette question est nébuleuse pour une partie des personnes qui votent au Québec. Je n'adresse pas de reproches aux Québécois qui, à mon avis, sont parmi les électeurs les plus avertis du monde, mais je blâme le parti politique qui a fait tout ce qu'il a pu pour entretenir cette confusion. Le leader est-il au courant de l'existence de ces nombreuses études?

Le sénateur Boudreau: Non, je n'étais pas au courant. Cependant, je remercie le sénateur de me les avoir signalées.

J'ai eu l'occasion de lire la question à un certain nombre d'électeurs de la Nouvelle-Écosse. Ceux à qui je l'ai lue ne savaient pas au juste quelles auraient pu être les conséquences du vote.

[Français]

Le sénateur Rivest: Honorables sénateurs, je suis complètement en accord avec l'honorable sénateur. Il est vrai que plusieurs études le démontrent. Le Parti québécois, peu importe ce projet de loi, va continuer de proposer la souveraineté-association. La confusion persistera. Ce projet de loi ne règle pas la question. C'est une mauvaise politique. Le problème de l'unité nationale n'est pas dans la question, mais dans le coeur des hommes et des femmes au Québec qui votent pour la souveraineté. On doit convaincre ces gens de rester à l'intérieur du Canada. Le problème n'est pas la question référendaire. On n'a pas affaire à 50 hurluberlus.

[Traduction]

Il s'agit là de millions d'honnêtes gens qui votent en faveur de la souveraineté. Nous devons les convaincre de rester au Canada, mais certainement pas avec des projets de loi pièges comme celui-là ou des mesures insignifiantes qui n'aident pas à régler le problème. Voilà où je veux en venir.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai admis une certaine latitude dans les questions, qui ont surtout pris la forme d'une discussion. Toutefois, considérant l'importance du sujet à l'étude, je crois que les sénateurs préféreraient avoir cette latitude.

Le sénateur Boudreau: Je remercie le sénateur de ses observations. Comme je l'ai déjà dit, je suis entièrement d'accord pour dire que nous devons constamment tâcher de convaincre les Québécois de demeurer au Canada. Ceux d'entre nous qui habitent à l'extérieur de la province devraient prendre cette responsabilité au sérieux. J'estime que, si on leur donne clairement le choix, les Québécois décideront immanquablement de demeurer au Canada, surtout si les efforts dont parle le sénateur portent fruit.

(Sur la motion du sénateur Lynch-Staunton, le débat est ajourné.)

La Loi sur la défense nationale

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Landon Pearson propose: Que le projet de loi S-18, modifiant la Loi sur la défense nationale (non-déploiement de personnes de moins de dix-huit ans sur des théâtres d'hostilités), soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je sais qu'il est peut-être étonnant de voir que je parraine un projet de loi modifiant la Loi sur la défense nationale. Cependant, le court article que le gouvernement propose d'ajouter à la loi revêt une importance particulière pour moi, car il traduit l'engagement du Canada à s'attaquer, d'une manière appropriée et constructive, à l'exploitation grandissante d'enfants soldats dans trop de pays.

Dans le discours du Trône, le gouvernement du Canada a promis d'insister davantage sur la sécurité humaine dans sa politique étrangère. Les civils ont toujours été touchés par les conflits armés, mais jusqu'à maintenant ils étaient généralement les victimes accidentelles, même si c'était des victimes inévitables, d'offensives militaires. Maintenant, ils sont souvent les cibles des forces nationales ou rebelles. Les droits fondamentaux de la personne sont bafoués. Les femmes et les enfants surtout sont vulnérables.

En 1996, Graça Machel, activiste africaine distinguée, veuve de l'ancien président du Mozambique et aujourd'hui femme de Nelson Mandela, a signalé aux Nations Unies le prix dévastateur payé par les enfants victimes de la guerre au cours de la décennie précédente. Près de deux millions d'enfants ont été tués. Plus de quatre millions sont handicapés. Un million sont devenus orphelins et plus de dix millions sont psychologiquement marqués par la violence qu'eux-mêmes ou leur famille ont subie. Et cela passe sous silence les millions de ceux qui sont devenus réfugiés ou qui ont été déplacés dans leur pays.

De nos jours, on estime à 300 000 le nombre d'enfants soldats servant, souvent contre leur gré, dans les armées régulières et la guérilla, la milice rebelle ou les groupes hors-la-loi comme l'Armée de libération du Seigneur, en Ouganda.

Ces enfants ont des armes assez légères pour qu'un enfant de huit ans puisse les porter et les tirer ou des machettes capables de couper un bras ou une jambe. Lorsque ces enfants ne sont pas forcés à tuer ou à blesser, ils doivent servir d'espions ou poser des mines; d'autres sont à toutes fins utiles réduits à l'esclavage, pour subvenir aux besoins matériels ou aux appétits sexuels de leurs dirigeants. Voilà la triste réalité.

Le problème est répandu partout dans le monde, mais surtout en Asie et en Afrique. La Coalition pour mettre fin à l'utilisation des enfants-soldats estime que, seulement en Afrique, quelque 120 000 enfants de moins de 18 ans participent à des conflits armés.

Honorables sénateurs, je suis heureuse de dire que, depuis que le rapport Machel a signalé cette situation renversante aux Nations Unies, la communauté internationale s'est mobilisée. Un instrument auquel on a fait appel est la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, adoptée en 1989 et ratifiée par le Canada en 1991, qui fixe à 15 ans la norme de recrutement obligatoire ou d'engagement volontaire dans les forces armées et de participation à des hostilités. Dès le départ, on s'inquiétait que cette norme était trop peu sévère, surtout étant donné que la convention définit comme un enfant devant être protégé tout être humain de moins de 18 ans.

En 1994, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a créé un groupe de travail chargé de la rédaction d'un protocole d'application de la convention pour relever cette norme minimale. Je suis heureuse d'informer tous les sénateurs que la communauté internationale s'est récemment entendue sur le texte d'un protocole optionnel pour la Convention relative aux droits de l'enfant afin d'atteindre cet objectif. Aux termes du protocole, l'âge minimal pour le service militaire obligatoire au sein des forces armées des pays signataires est fixé à 18 ans.

En outre, les pays signataires qui ratifient le protocole s'engagent à prendre toutes les mesures réalisables pour veiller à ce que les membres de leurs forces armées âgés de moins de 18 ans ne prennent pas part à des hostilités; et si des personnes de moins de 18 ans sont recrutées, l'entrée dans les forces armées doit être vraiment volontaire, faite avec le consentement parental, sur présentation d'une preuve d'âge digne de foi et dans des circonstances où la recrue est consciente des fonctions qu'entraîne le service militaire.

(1640)

Enfin, le protocole exhorte les parties ou les États à collaborer aux efforts visant à garantir que les victimes d'actes contraires au protocole - c'est-à-dire des enfants forcés à participer à un conflit - reçoivent l'aide nécessaire pour leur rétablissement physique et psychologique.

Le protocole optionnel sera présenté à l'Assemblée générale des Nations Unies cette année. Par la suite, les pays pourront le ratifier, à l'automne nous l'espérons.

Honorables sénateurs, je suis ce dossier de près depuis quelques années, et je suis fière de dire que le Canada a agi en chef de file dans les efforts en vue de la mise au point de ce protocole optionnel et que le gouvernement appuie pleinement le produit final. Je suis également heureuse de dire que les politiques actuelles des Forces canadiennes se conforment déjà à ces dispositions.

Le Canada ne pratique pas la conscription ni quelque autre forme de service militaire obligatoire. Toutefois, les Forces canadiennes enrôlent des volontaires de moins de 18 ans. Un millier de jeunes âgés de 16 et 17 ans sont recrutés tous les ans. La plupart d'entre eux servent dans la réserve; quelques-uns servent dans les forces régulières, notamment ceux qui vont au Collège militaire royal.

Ces jeunes Canadiens vivent toute une gamme d'expériences éducatives très valables. Leurs cours de leadership les familiarisent avec la responsabilisation et l'éthique. Leur formation leur permet d'acquérir des compétences utiles, notamment en lutte contre les incendies, en médecine ou en mécanique. Certains d'entre eux ont la possibilité de parader chaque jour sur la colline du Parlement pendant l'été dans le cadre de la cérémonie prestigieuse de la relève de la garde.

Honorables sénateurs, si on veut qu'elles restent hautement professionnelles et respectées, les Forces canadiennes doivent être capables de recruter des jeunes Canadiens doués. Une carrière dans les forces armées est une carrière honorable qui amène à défendre le Canada, bien sûr, mais aussi à remplir des obligations internationales imposées par des traités, à protéger la sécurité d'êtres humains à l'étranger, une tâche qui, je le prédis, gagnera en importance, car nos troupes seront de plus en plus souvent demandées pour remplir des missions de maintien de la paix. Cependant, attirer et former ces jeunes de moins de 18 ans n'oblige pas à les exposer au danger. La politique actuelle des Forces canadiennes interdit d'envoyer ses membres de moins de 18 ans prendre part à des hostilités ou à des missions dans des théâtres d'opérations dangereux.

Nos méthodes de recrutement sont déjà conformes aux dispositions du protocole facultatif. Cependant, en incluant ces dispositions dans une loi, comme le gouvernement entend le faire en modifiant la Loi sur la défense nationale, on renforce la position du Canada comme chef de file à cet égard. Lorsqu'il est question d'exploitation d'enfants en tant que militaires, le Canada n'a jamais été pointé du doigt. Nous croyons que le gouvernement du Canada n'a pas le droit d'envoyer à la guerre un citoyen qui n'est pas assez vieux pour voter.

Le gouvernement entend faire comprendre clairement à la communauté internationale que notre refus d'envoyer des enfants à la guerre n'est pas seulement une question de conviction ou de politique, mais que c'est carrément contre la loi du Canada.

Le grand objectif du Canada, c'est de promouvoir et de protéger le bien-être et les droits des enfants touchés par la guerre. Il reste beaucoup à faire à cet égard, mais nous enregistrons tout de même des progrès. En septembre prochain, nous tiendrons une conférence internationale importante visant à élaborer des stratégies claires sur la question et à renforcer la volonté politique nécessaire pour agir.

Honorables sénateurs, je vous invite à appuyer cette modification toute simple à la Loi sur la défense nationale, qui est un moyen de faire clairement comprendre que le Canada appuie le protocole facultatif et qu'il tient à rester à l'avant-garde de la lutte contre l'obligation faite à des enfants de devenir soldats.

Des voix: Bravo!

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Meighen, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur la Loi électorale du Canada

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Hays, appuyée par l'honorable sénateur Adams, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-2, Loi concernant l'élection des députés à la Chambre des communes, modifiant certaines lois et abrogeant certaines autres lois.

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, ce projet de loi est assez remarquable, à la fois par sa taille et sa portée. Il fait plus de 250 pages et compte pas loin de 600 articles. Il ne me serait pas possible en une journée, voire en plusieurs jours, de lui rendre justice. Aussi, avec votre indulgence, limiterai-je mes propos à un seul aspect du texte, la publicité par les tiers.

Pour donner quelque contexte à la question, je vous rappelle que c'est en 1974 que le gouvernement Trudeau a adopté pour la première fois une loi interdisant certaines formes de publicité indépendante aux élections. Dix ans plus tard, la National Citizens' Coalition contestait ces restrictions devant un tribunal de l'Alberta, qui devait lui donner raison. Comme le gouvernement fédéral décida de ne pas en appeler de cette décision, les élections de 1994 et de 1998 se sont déroulées sans restriction. En 1992, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, dite la commission Lortie, recommandait que ces restrictions soient rétablies. Comme beaucoup de sénateurs le savent, j'ai été membre de cette commission Lortie, tout comme mon amie, le sénateur Pépin. Le gouvernement Mulroney en a tenu compte et l'année suivante, la Loi électorale a été modifiée par l'établissement d'un plafond de 1 000 $ sur les dépenses de publicité indépendante. De nouveau, la National Citizens' Coalition devait contester cette loi devant une juridiction albertaine. En 1996, la Cour d'appel provinciale, dans l'affaire Somerville v. the Attorney General, déclarait cette limite inconstitutionnelle.

Par ailleurs, au Québec, la justice était saisie d'un cas semblable. Robert Libman, qui était alors chef du Parti Égalité du Québec, contestait des dispositions de la Loi électorale du Québec. Il jugeait inacceptables les dispositions limitant le droit des personnes non affiliées ou indépendantes de participer à un référendum provincial. L'affaire devait aboutir en Cour suprême du Canada, qui rendit sa décision en 1998. Ce qui nous intéresse ici, c'est que la cour fait une référence bien inattendue à la décision Somerville pour exprimer son désaccord. Voici ce qu'elle a déclaré:

[Traduction]

Tout en reconnaissant leur droit de participer au processus électoral, les individus et les groupes indépendants ne peuvent être assujettis aux mêmes règles financières que les candidats, candidates ou partis politiques et se voir allouer le même plafond de dépenses. Bien que leur voix soit importante, ce sont les candidats, candidates ou partis politiques qui se font élire. La limite financière permise aux indépendants doit donc être plus basse que celle imposée aux candidats, candidates ou partis politiques. Autrement, en raison de leur nombre, l'influence de leurs dépenses sur un des candidats, candidates ou partis politiques au détriment des autres pourrait être démesurée.

À la suite de cette décision, le gouvernement actuel a décidé de présenter à nouveau les dispositions sur les tiers dont nous sommes saisis dans ce projet de loi.

En bref, honorables sénateurs, ces dispositions disent que les tiers pourront dépenser jusqu'à 150 000 $ durant les élections. Cela comprend un maximum de 3 000 $ dans n'importe quelle circonscription. N'importe quel tiers qui dépensera plus de 500 $ devra présenter un rapport énumérant ses dépenses de publicité et contributions. Ce rapport doit inclure les noms et les adresses de tous ceux qui ont versé plus de 200 $. Les tiers qui voudront dépenser plus de 5 000 $ en publicité devront nommer un vérificateur. En aucun temps, les tiers ne pourront émettre des reçus aux fins d'impôt, ni être remboursés pour des dépenses. À l'instar des partis politiques, ils ne pourront faire de la publicité durant les 48 dernières heures de la campagne.

(1650)

Toute cette question a soulevé tout un débat dans les médias et ailleurs. Lorsqu'on sépare le bon grain de l'ivraie, on s'aperçoit que la majeure partie des choses qui sont dites tournent autour de quelques croyances bien ancrées. Bon nombre de ces croyances sont positives. Par exemple, tous les gens ont le même droit de briguer des postes élevés; La liberté d'expression est l'un de nos droits les plus sacrés et la liberté d'association ne doit pas être indûment limitée. En même temps, et malheureusement, il y a également des hypothèses négatives. Il y a notamment la notion selon laquelle les Canadiens nantis n'agissent jamais dans l'intérêt du pays, la participation des entreprises à la politique conduit inévitablement à la corruption et les élections et les électeurs peuvent être achetés si on y met le prix.

[Français]

Honorables sénateurs, je suis entièrement d'accord sur le fait que chacun devrait pouvoir briguer la haute charge de député. Je suis également d'accord - et vous l'êtes sûrement aussi - sur le fait qu'il est impératif de protéger nos droits à la liberté d'expression et d'association. Mais je trouve absolument inadmissible de voir dans le monde des affaires l'incarnation même du mal. Je ne crois pas que le lien entre les fonds et les voix obtenues soit clair. L'élection sur le libre-échange en est la preuve. On pourrait en dire autant du référendum de Charlottetown. Si ma mémoire est bonne, ceux qui étaient en faveur du référendum ont dépensé 13 fois plus que leurs adversaires. Pourtant, on connaît la suite.

Les dispositions du projet de loi sur la publicité par les tiers soulèvent des questions importantes. Par exemple, dans une société démocratique, tout le monde a-t-il le droit de participer à l'élection du gouvernement ou y a-t-il des exceptions? Est-il acceptable pour une société ou pour un gouvernement de limiter les activités de certains groupes comme les tiers? De telles limites constituent-elles une menace pour les principes démocratiques?

[Traduction]

Il n'y a pas de réponses faciles à ces questions. Comme ceux d'entre vous qui ont suivi le débat s'en sont probablement déjà rendu compte, cette question met en présence deux philosophies opposées et probablement irréconciliables. D'un côté, il y a ceux qui disent que les élections sont une période de débat public libre, que tous devraient y participer et être autorisés à le faire dans toute la mesure de leurs aptitudes et de leurs capacités. D'autre part, il y a ceux qui sont tout aussi également convaincus que la liberté de parole sans entrave pendant des périodes électorales mène inévitablement à des abus, déforme le processus électoral et est fondamentalement antidémocratique, et que la société et le gouvernement ont le devoir de limiter au minimum ces abus en restreignant les occasions où ils peuvent se produire. Honorables sénateurs, c'est en résumé ce dont nous discuterons lorsque nous nous pencherons sur les dispositions relatives aux tiers de cette mesure législative.

Au cours des prochains jours, nous entendrons divers arguments pour ou contre la publicité faite par des tiers. Au moment où nous en prendrons connaissance, il nous appartiendra d'avoir à l'esprit quatre questions simples: est-il nécessaire de limiter les dépenses faites par des tiers? Le cas échéant, ces limites sont-elles justifiées? Si la réponse est oui, les limites que propose le projet de loi sont-elles justes? Enfin, atteindront-elles leur objectif?

Les partisans de l'imposition de limites à la publicité faite par des tiers fonderont une grande partie de leur argumentation sur la notion d'équité. Ils soutiendront par exemple que la situation actuelle est inéquitable, qu'elle limite les dépenses des partis politiques, mais qu'elle permet à des tiers de dépenser autant qu'ils le veulent. En limitant les dépenses faites par des tiers on uniformisera les règles du jeu. Ils prétendront aussi que la limitation de la publicité faite par des tiers fera en sorte que le processus électoral soit aussi transparent, démocratique et équitable que faire se peut. Les plus radicaux d'entre eux iront même encore plus loin. Ils laisseront entendre que, en réalité, les tiers n'ont pas le droit de chercher à influer sur le programme public et qu'ils devraient par conséquent être bannis.

De toute évidence, honorables sénateurs, la transparence s'impose dans le cas de ceux qui donnent de l'argent en vue d'influer sur le processus politique. Le culte du secret en ce domaine ne fait que saper la confiance du public. Toutefois, je ne suis pas entièrement convaincu que la limitation des dépenses contribuera automatiquement à uniformiser les règles du jeu. À l'heure actuelle, les tiers peuvent dépenser plus que les partis politiques. Cette mesure législative ne fait qu'inverser la situation. C'est bon pour les partis, mais cela ne contribue en rien à uniformiser les règles du jeu. Quand à l'idée selon laquelle les tiers n'ont pas le droit de se mêler des élections, je la rejette complètement et, à mon avis, nous devrions tous le faire.

Comme vous pouvez aisément l'imaginer, ceux qui sont contre les restrictions imposées aux tiers ont bien sûr des arguments à faire valoir. Certains des plus incisifs ont été exprimés, il fallait s'y attendre, par la National Citizens' Coalition. Ces gens prétendent, entre autres, que les dispositions concernant les tiers empiètent sur le droit des Canadiens de voter en connaissance de cause et, ce qui est tout aussi important, qu'elles restreignent indûment la liberté d'association et la liberté d'expression. Or, elles sont garanties par l'article 2 de la Charte qui précise que le Canada considère comme des libertés fondamentales: la liberté de conscience et de religion; la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; la liberté de réunion pacifique; et la liberté d'association. De toute évidence, les dispositions en question empiètent sur ces droits, comme l'ont rappelé à deux reprises les tribunaux de l'Alberta en déclarant les limites de dépenses inconstitutionnelles.

Une autre critique que nous avons entendue au sujet de ce projet de loi, honorables sénateurs, est que limiter les tiers à une dépense maximale de 150 000 $ constitue une mesure punitive. Ils ne pourront plus intervenir sérieusement dans la bataille pour avoir l'oreille de l'opinion publique durant les élections. Je dois dire que j'ai tendance à être d'accord. Une limite de 150 000 $ est à coup sûr beaucoup trop basse. Je pense que c'est tout à fait irréaliste. Faites le calcul. Divisez 150 000 $ par 301 circonscriptions. Cela donne un peu moins de 500 $ par circonscription. On ne peut pas acheter beaucoup de publicité avec un tel montant.

Selon Élections Canada, les partis politiques ont dépensé près de 35 millions de dollars lors des dernières élections, et ce ne sont là que les chiffres officiels. Sur ce montant de 35 millions de dollars, 55 p. 100 ont été consacrés à la publicité, notamment la publicité télévisée. D'après mes calculs, 55 p. 100 de 35 millions de dollars, cela fait 19,25 millions de dollars. Quand on compare ce montant à ce qui est proposé pour les tiers, il est évident que leurs voix seront éteintes.

Bien sûr, cela n'inclut pas les énormes montants que les partis au pouvoir consacrent, par exemple, à la publicité gouvernementale et ministérielle, aux bulletins financés par les contribuables qui sont postés tout juste avant le déclenchement des élections. Cela ne tient pas compte non plus des sommes non comptabilisées que les partis tirent de leurs associations de circonscription, sans compter les centaines de millions de dollars qui sont acheminés secrètement vers les circonscriptions libérales avec la bénédiction de la ministre du Développement des ressources humaines.

(1700)

Les disparités auxquelles vont donner lieu les dispositions relatives aux tiers risquent d'amener les gens à s'entendre pour contourner ces dispositions. Le directeur général des élections pense que les dispositions interdisant la collusion qui sont prévues dans le projet sont suffisantes, mais la directrice générale adjointe des élections a déjà reconnu que les règles régissant la collusion évoluaient. Devant un comité de l'autre endroit elle a dit: «Nous verrons ce qu'il en est au moment de la première poursuite.» En d'autres termes, personne ne sait exactement ce qui va arriver mais, pour plus de sûreté, nous empiéterons sur le droit des citoyens canadiens de s'associer les uns avec les autres pendant les périodes électorales.

Honorables sénateurs, quelle que soit la position que l'on adopte dans ce débat, il est clair que la capacité des tiers de participer aux élections sera compromise. Ils ne seront pas bannis, mais leurs activités seront sérieusement limitées. Il est ironique que des politiciens disent aux Canadiens qu'ils ne peuvent dépenser leur argent comme ils l'entendent durant les élections, or, c'est exactement ce que nous faisons... et par-dessus le marché, nous utilisons leur argent.

La fin de semaine dernière, j'ai consulté une partie des comptes rendus du débat et des témoignages recueillis par le comité dans l'autre endroit. J'espérais trouver une preuve quelconque démontrant que la publicité électorale faite par des tiers procurait un avantage indu durant les élections. Toutefois, je n'ai pas trouvé grand-chose. Un membre du comité a demandé à plusieurs reprises aux témoins, y compris au ministre responsable et au directeur général des élections, de lui donner des exemples concrets d'abus. Sa question était plus ou moins: «Pouvez-vous me donner un exemple où les candidats ou les partis n'ont pas pu se défendre contre la publicité payée par des tiers?» Il n'a jamais obtenu de réponse, du moins de réponse directe à sa question.

Je me suis donc posé la question: s'il n'existe pas de faits, pourquoi le gouvernement pousse-t-il en faveur de ces restrictions, surtout compte tenu des différentes décisions rendues par les tribunaux? Qu'est-ce qui alimente toute cette rhétorique et toutes ces allégations? Pourquoi nous dit-on que les tiers sont mauvais et que leur participation aux élections est injuste et dangereuse? D'après ce que je peux en juger, c'est la peur - la peur d'être exclus et la peur de perdre.

J'y ai vu trois raisons. Premièrement, on croit que les tiers sont, en fait, des sociétés multinationales riches à craquer qui sont prêtes à causer la défaite de tout candidat qui aurait la témérité de s'exposer à leur colère. Deuxièmement, on tient pour acquis que tous les tiers sont mauvais et qu'ils se sont donné pour mission d'abattre la démocratie. L'idée qu'ils puissent jouer un rôle salutaire dans des élections est écartée d'entrée de jeu. Troisièmement, on craint que, sans une forme de réglementation des tiers, les élections au Canada ne finissent par ressembler aux élections aux États-Unis, où seuls les riches et les personnes ayant de bonnes relations osent se porter candidats. Chacune de ces peurs est aggravée par l'impression que les tiers peuvent faire gagner ou perdre un candidat dans des élections serrées. La preuve n'en a jamais été faite. Le gouvernement a néanmoins décidé de limiter les dépenses et cela, comme je l'ai dit il y a un instant, en dépit du fait que deux tribunaux aient déclaré qu'il était inconstitutionnel de le faire.

Honorables sénateurs, je trouve cela troublant. Pour moi, une démocratie est d'abord et avant tout faite pour le peuple et elle incarne la volonté populaire. La démocratie est ce qui permet d'élire des citoyens pour gouverner leurs semblables. Cette croyance fondamentale, si je puis la qualifier ainsi, semble avoir été oubliée dans ce projet de loi, ou du moins perdue de vue.

On tient pour acquis, du moins parmi ceux qui ont produit ce projet de loi et si je me fie aux commentaires que j'ai lus jusqu'à maintenant, que politique égale partis politiques. Les tenants de cette opinion soutiennent que les partis politiques sont les seuls véhicules valables et légitimes pour exprimer les opinions politiques. Selon eux, les opinions des partis politiques, leurs programmes et l'influence qu'ils exercent sur les événements devraient prédominer. Le rôle des tiers devrait se limiter à seconder les partis politiques. Autrement dit, on devrait leur interdire tout lien direct avec l'électorat sous forme de publicité.

Cette conception repose sur l'idée que notre démocratie est une hiérarchie, au sommet de laquelle se trouvent les politiciens et les partis politiques, suivis des tiers et, tout en bas, du peuple. C'est sûrement là une étrange conception de la démocratie et même une distorsion du sens même de ce mot. Pour moi, la politique est une tribune qui permet de tenir des débats étendus sur des questions nationales concernant tous les citoyens. La démocratie n'est pas une série de débats privés entre politiciens.

On entend souvent dire aujourd'hui que les gens ne s'intéressent plus à la politique. Si c'est le cas, je crois qu'il suffit d'examiner le projet de loi dont nous sommes saisis et on comprendra pourquoi.

[Français]

Honorables sénateurs, il nous arrive souvent, dans nos fonctions de membres du Parlement, de parler du peuple au sens le plus large du terme. Nous vantons les vertus de la liberté de parole et de la démocratie. Nous portons la Charte aux nues, et ainsi de suite. Pourtant, nous sommes aujourd'hui devant un projet de loi qui, à bien des égards, sape ces mêmes idéaux que nous nous plaisons à louer. À un moment crucial du processus démocratique, soit une élection, nous voulons priver les citoyens de ce pays d'information sous prétexte qu'elle serait biaisée. Nous sommes en train de dire aux Canadiens que parce que des paroles ou des écrits pourraient avoir un impact que nous ne sommes pas en mesure de contrôler, nous croyons qu'ils devraient être limités. En avons-nous bien le droit? Les élections sont-elles la chasse gardée des politiciens? Les jeunes nous demandent-ils de penser pour eux? Ont-ils besoin que nous leur disions ce qui est bon ou malsain pour eux d'entendre?

Je crois que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour provoquer un débat public. Le but d'une mesure électorale ne saurait être, il me semble, de limiter la capacité des citoyens de participer. Ce devrait être exactement le contraire. Les idées neuves et les divergences d'opinions sont les deux mamelles, si je puis dire, d'une démocratie saine et tolérante. Si nous voulons que les gens participent - le taux de participation est au plus bas depuis 30 ans -, nous ne devons pas leur mettre des bâtons dans les roues. Nous devons cesser de vouloir contrôler tous les aspects du processus électoral. Avec notre manie de tout contrôler, nous avons vidé les élections de leur sens. Il ne reste plus que des petites phrases, des clips et des débats qui n'en ont que le nom. Il ne faut pas s'étonner que les gens aient perdu intérêt.

[Traduction]

Honorables sénateurs, la véritable question n'est pas simplement de savoir s'il faut limiter les dépenses des tiers. La véritable question, c'est la démocratie et le type de société dans lequel nous voulons vivre. Dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, posons-nous les questions suivantes: quel est le plus grand danger pour la démocratie, la publicité électorale faite par des tiers ou un texte de loi qui l'élimine à toutes fins utiles? Les Canadiens ont-ils le droit d'entendre tous les points de vue en période électorale? Ce projet de loi limitera-t-il la capacité des Canadiens de prendre des décisions en connaissance de cause? N'oublions pas que les tiers ont les mêmes droits que tous les autres Canadiens. Avant de restreindre leurs droits à la liberté d'expression et d'association, nous nous devons d'examiner les faits. Cela est d'autant plus vrai que ceux-ci semblent se faire rares.

(1710)

Enfin, honorables sénateurs, du fait de sa qualité de Chambre de second examen objectif, obligation est faite au Sénat de protéger ceux dont les droits ont été bafoués, ou du moins de leur prêter une oreille attentive. Nous avons l'obligation de leur permettre de se faire entendre et de ne pas nous laisser influencer par des débats sectaires.

Depuis quelques années, le Sénat s'est acquitté de cette tâche à d'importantes occasions, notamment pour la Loi concernant l'aéroport Pearson, le registre des armes à feu, le projet de loi sur l'assurance-emploi, la Loi sur le divorce, la clause 17 et la Loi sur la taxe de vente harmonisée dans les Maritimes. Ce projet de loi nous fournit une nouvelle occasion de recommencer et de relever un autre défi. On a reproché bien des choses aux tiers faisant de la publicité électorale, mais ces derniers se sont relativement peu exprimés, voire pas du tout.

Il est à espérer que les sénateurs profiteront de l'occasion pour donner à ces personnes la possibilité de se faire entendre au nom de l'absence de parti pris qui caractérise notre institution. Nous pourrions tous bénéficier d'un échange loyal de points de vue sur le sujet. Au lieu d'attiser le feu, cela contribuerait à éclairer le débat et à favoriser la compréhension.

Des voix: Bravo!

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, pourrais-je poser une question au sénateur Oliver?

Je tiens tout d'abord à vous féliciter, sénateur, pour l'exhaustivité de votre discours. Je voudrais également vous féliciter pour avoir donné une partie de votre discours en français. J'aurais cependant une question pour vous.

En vous écoutant, j'ai l'impression que votre position c'est que la situation actuelle est la situation idéale, c'est-à-dire que les règles concernant les dépenses des tiers sont très bien comme cela et qu'il ne devrait pas y avoir de limites à ces dépenses.

L'honorable Norman K. Atkins: Non.

Le sénateur Hays: Le sénateur Atkins me dit que je me trompe, mais si je me trompe, comment l'honorable sénateur justifie-t-il les limites imposées aux dépenses des partis politiques pendant les campagnes électorales? Si vous pensez à un chiffre applicable aux dépenses des tiers, à quel pourcentage des dépenses des partis politiques correspond-il? En d'autres mots, devrait-il y avoir un rapport de proportionnalité entre les deux?

Ma première question est celle-ci: s'il n'y a pas de limites pour les tiers, est-ce qu'il faudrait éliminer toutes les limites imposées aux partis politiques? Deuxièmement, s'il y a des limites, quel pourcentage des dépenses des partis politiques les dépenses des tiers devraient-elles représenter pendant une période électorale?

Le sénateur Oliver: Je remercie le sénateur pour ses questions. J'estime personnellement que ce projet de loi est injuste envers les tiers parce qu'il limite leurs dépenses à 150 000 $. Aujourd'hui, compte tenu du coût de la publicité, des sondages et d'autres éléments importants d'une campagne électorale, cette somme est insuffisante. À mon avis, c'est une limite punitive.

Je sais bien que vous avez cité le même passage que moi de l'arrêt du tribunal et qu'il ne s'agissait que d'une opinion incidente. Si le gouvernement doit s'en remettre aux opinions incidentes d'un tribunal en rédigeant un projet de loi, il devrait être juste envers les tiers. Pour moi, les tiers sont d'autres groupes que la National Citizens' Coalition. Ce sont des groupes communautaires et d'autres groupes dans toutes nos provinces et toutes nos circonscriptions qui aimeraient émettre une opinion sur des sujets importants abordés pendant les campagnes électorales. Pour nous, limiter à 150 000 $ les dépenses de ces groupes ayant une importance nationale est injuste.

Je poserai des questions aux témoins à ce sujet au comité. Peut-être arriverai-je alors à un chiffre bien supérieur à 150 000 $. Pour être juste, il faudrait que la limite soit bien supérieure à 150 000 $.

Le sénateur Atkins: J'ai participé à deux campagnes nationales et je peux dire que j'ai vu des tiers partis faire de la publicité et exprimer leur soutien pour tous les camps. D'après vous, sénateur Oliver, est-ce que les contributions aux tiers font perdre des contributions aux partis politiques enregistrés?

Le sénateur Oliver: Je l'ignore, mais je crois qu'il y a des gens qui ne donnent jamais rien aux partis politiques, quels qu'ils soient, et d'autres qui donnent à des tiers. Je dirais donc que je ne pense pas que ces contributions font perdre quoi que ce soit aux partis politiques.

L'honorable B. Alasdair Graham: Honorables sénateurs, durant sa présentation très documentée, le sénateur Oliver a utilisé le mot «multinationale». En réponse à une question du sénateur Hays, il a parlé de tierces organisations communautaires. Je pense que nous sommes tous sensibles à ce point.

Le sénateur Hays a également posé une question sur la relation entre les contributions qui pourraient être faites par de prétendues tierces organisations et les limites qui pourraient être imposées aux partis politiques. Le sénateur Oliver laisserait-il entendre que les multinationales dont il a parlé pourraient avoir la possibilité d'effectuer des dépenses non liées et non contrôlées durant une campagne électorale jusqu'au jour de l'élection?

Le sénateur Oliver: Oui. Les banques et autres grandes organisations financières ont beaucoup d'argent qu'elles peuvent donner aux grands partis politiques. Toutefois, à la suite des questions posées à l'autre Chambre au ministre et au directeur général des élections, ils n'ont pas été capables de prouver que cela avait des effets négatifs et dommageables. C'est pourquoi les deux décisions de la Cour suprême ont été que cela était inconstitutionnel.

Le sénateur Atkins a servi pendant deux campagnes. J'ai été avocat pour le Parti conservateur national pendant six campagnes nationales. Mon travail consistait à m'occuper de la loi et des dépenses électorales. J'ai parcouru le Canada à plusieurs reprises pour faire des exposés sur la loi concernant les dépenses électorales. Cela a été mon travail pendant 26 ans. Je n'ai pas peur que tous les Canadiens participent au processus politique parce que je crois que c'est extrêmement important. J'ai vu très peu de cas où l'argent seul pouvait acheter les élections. Je ne pense donc pas que nous devions nous inquiéter des prétendues multinationales.

J'ai utilisé le mot «multinationale» dans mon discours pour dire que les gens ont peur, ils ont cette idée que les riches multinationales prennent le dessus dans le processus. Ce n'est pas mon avis. Je ne faisais que donner un autre avis.

Le sénateur Graham: En fin de compte, le sénateur Oliver laisse entendre que les multinationales pourraient dépenser plus encore que les partis politiques pour une question particulière qu'elles souhaiteraient promouvoir; est-ce juste?

Le sénateur Oliver: Il est possible qu'elle le puissent. Ce que je dis, c'est qu'il faudra en définitive imposer une limite pour la publicité par les tiers, mais que cette limite doit être plus élevée que 150 000 $. C'est trop peu. C'est punitif, injuste et inégal pour le processus politique.

(Sur la motion du sénateur Finestone, le débat est ajourné.)

[Français]

(1720)

Le Budget de 2000

La déclaration du ministre des Finances-Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, attirant l'attention du Sénat sur le budget présenté par le ministre des Finances à la Chambre des communes le 28 février 2000.-(L'honorable sénateur Kinsella).

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, en guise d'introduction au débat sur le budget, je souligne d'abord que le gouvernement n'a pas tenu un discours économique convaincant. Dans le discours du Trône, par exemple, j'ai été frappé par un énoncé, et je cite:

Les Canadiens ont bâti le pays [...]

Et l'on énumère les bâtisseurs du XXe siècle, c'est-à-dire les artistes, les écrivains, les chercheurs, on parle de tout le monde sauf des entrepreneurs. Je vous avoue que cela me laisse songeur, moi qui avais toujours pensé que le Canadien Pacifique, en son temps et aujourd'hui, entre autres, Northern Telecom, faisaient aussi partie des bâtisseurs du Canada.

On parle d'une économie dynamique, mais ce n'est pas avec les taux de taxation canadiens qu'on va attirer des sièges sociaux ici ni des investissements étrangers. On ne gardera pas non plus les plus mobiles et les plus ambitieux.

En fait, tout le reste du discours du Trône consistait à souligner une fois de plus la grande compassion qu'éprouve le gouvernement pour certains groupes sociaux, avec l'argent des autres. Face à cette situation, je me disais que le discours du Trône exprime peut-être une philosophie politique générale pour nous distinguer de nos voisins du Sud, par exemple. Mais le ministre des Finances, lui, va parler d'économie avec des faits et des chiffres.

Or, dans sa mise à jour d'octobre 1999, que dit-il? Je me permets ici de relever trois assertions du ministre. À la page 49 de son document, le ministre dit, et je cite:

Le redressement financier survenu depuis 1993-1994 est attribuable à la réduction des dépenses de programmes et à une économie en pleine croissance.

Ce n'est pas correct de dire cela; la réalité, c'est que le redressement est dû à 25 p. 100 à des réductions de dépenses et à 75 p. 100 à des hausses de revenus attribuables durant ces années à la désindexation partielle des paramètres fiscaux, à des hausses de taxes et à la croissance modérée de l'économie. Quand on est ministre des Finances, il faut dire les faits et non les farder.

Dans la même page de son document, le ministre dit:

Les dépenses de programmes du gouvernement fédéral, exprimées en pourcentage du PIB, ne sont plus que de 12,4 p. 100, soit leur point le plus bas depuis 1949-1950.

Le ministre joue avec les mots. Ce qui importe aux gens, ce n'est pas le ratio au PIB des dépenses de programmes, mais le ratio des dépenses totales, y compris le service de la dette. Or 156 milliards sur 940 milliards, c'est 17 p. 100. À cela, il faut ajouter les dépenses des provinces, de sorte que c'est beaucoup plus que 40 p. 100 du PIB qui transite par les gouvernements et c'est énorme par rapport au 34 p. 100 des États-Unis, notre principal concurrent commercial.

Le ministre, un peu plus loin, parle du déficit de 42 milliards de dollars que le gouvernement conservateur lui a laissé à la fin de la récession du début des années 90, soit 6,5 p. 100 du PIB. Il ne parle pas des 37 milliards de dollars de déficit de 1983-1984 de ses prédécesseurs libéraux, soit 8 p. 100 du PIB d'alors.

Dans son rapport de mission sur le Canada en novembre 1999, le Fonds monétaire international dit, et je cite:

L'excédent (surplus) prévu, découle partiellement de l'alourdissement systématique du fardeau réel de l'impôt des particuliers faute d'indexation intégrale sur l'inflation.

C'est cela qu'on appelle la taxation sur pilote automatique.

Le Business Council on National Issues, en avril 1999, a dit, et je cite:

[Traduction]

En dépit des progrès réalisés au cours de la décennie précédente, le Canada traîne la patte dans un certain nombre de domaines clés. Ses gains dans les domaines de la productivité et de l'innovation ne suivent pas le rythme de ceux de ses principaux concurrents. Son niveau de vie est en déclin relatif. Son taux de chômage demeure trop élevé. Sa devise continue de se déprécier. Sa part des investissements étrangers directs est en baisse. Sa dette publique est trop élevée, tout comme le sont ses taux d'impôt sur le revenu des particuliers. Le revenu après-impôt réel des Canadiens stagne. Et la capacité du Canada d'attirer et de conserver des activités à base de connaissances comme les activités exercées par les sièges sociaux et la R-D est gravement mise en doute.

[Français]

Dans son aperçu du XXe siècle, la revue Economist fait un tour d'horizon des pays et des secteurs économiques. Comment caractérise-t-il le Canada? Il retient les faits suivants: taxes élevées, basse productivité, sous-emploi et exode des cerveaux. On y montre même un tableau des endroits où il ne fait pas bon résider à cause des taxes, et le Canada se situe malheureusement aux premiers rangs. Pierre Fortin, dans une étude fort documentée pour le C.D. Howe Research Institute, présente les mêmes caractéristiques que la revue Economist. Il dit que nous sommes «underemployed, overtaxed and underproductive». On est loin des vantardises du ministre.

Venons-en au discours du budget du 28 février dernier.

Je voudrais d'abord féliciter le ministre pour la pleine indexation des paramètres fiscaux. Le gouvernement aurait dû abandonner la désindexation partielle qui existait alors dès 1993, mais il a préféré «engranger» les revenus de cette forme insidieuse de taxe automatique pour pouvoir se vanter d'avoir vaincu le déficit. Si, au moins, il l'avait fait en arrêtant de gaspiller et en cessant de céder aux multiples groupes de pression qui, dans leurs revendications ne pensaient pas à l'intérêt général. Ce que le ministre n'a pas compris, c'est qu'en distribuant un petit peu à chacun les avantages fiscaux, il ne s'est pas attaqué au problème fondamental de l'économie canadienne: la faible augmentation de la productivité. En clair, il faut avoir une politique fiscale qui ait pour objectif premier de regagner le terrain perdu par rapport à nos voisins, particulièrement en ce qui concerne l'augmentation de la productivité. Il faut faire comme l'Irlande, dans l'Union européenne. Il faut faire mieux que nos concurrents américains si l'on veut élever le niveau de vie des pauvres et de la classe moyenne, et voir le dollar canadien remonter un peu. Le ministre n'est pas axé sur la croissance et la productivité; il est axé sur la fausse redistribution si chère au Parti libéral qui nous a mis dans le pétrin de 1975 à 1984.

Qu'un homme d'affaires comme lui n'ait pas réussi à convaincre ses collègues que l'exercice primordial est un jeu de croissance et non de redistribution laisse songeur quant à son leadership et au sens des perspectives de ses collègues.

[Traduction]

Le budget du ministre est de la poudre aux yeux: il énonce des objectifs quinquennaux et en claironne les résultats possibles, mais, en réalité, pour l'an 2000 - ce qui nous concerne tous -, il s'agit de changements fort modestes. Le ministre tente d'impressionner les gens, car il faut bien le dire, le budget est un exercice annuel qui concerne, par exemple, les taux et les tranches d'impôt.

Le ministre parle de l'an 2004 comme s'il croyait que le gouvernement sera toujours là avec les mêmes idées. Or, s'il y a un gouvernement qui est usé par la mauvaise administration, c'est le sien. Et s'il y a un parti qui a changé d'idée, c'est le sien. Rappelez-vous les débats sur la TPS et sur le libre-échange. Alors pourquoi le croirions-nous aujourd'hui?

Je ne comprends pas que le ministre, qui était pourtant un homme d'affaires averti dans sa vie antérieure, ne saisisse pas l'importance primordiale d'une fiscalité qui soit équivalente à celle de notre plus important compétiteur. S'il l'avait compris, il aurait pris des mesures radicales pour réformer l'imposition des entreprises, qui, au Canada, est le contraire de ce qu'elle devrait être, selon Jack Mintz. En effet, elle encourage les investissements dans les entreprises traditionnelles et fait de la discrimination contre les entreprises de haute technologie, qui sont celles de l'avenir et qui forment la pierre angulaire de la nouvelle économie.

À l'instar du grand communicateur du sud de la frontière, le ministre a parlé ici et là au Canada depuis deux mois, laissant entendre qu'un jour il s'attaquerait sérieusement à la dette, puis aux problèmes de productivité de notre secteur manufacturier, qui freinent la croissance; un autre jour, qu'il fallait encourager les entreprises de haute technologie; une autre fois, qu'il fallait inciter les jeunes à rester au Canada; une autre fois, qu'il faut encourager la famille.

Résultats: des biscuits un peu partout, mais surtout de nouvelles dépenses, à un taux annuel supérieur à la croissance économique du pays, dans des secteurs dont certains ne sont pas prioritaires et ne relèvent pas de sa compétence, comme les infrastructures locales. Un peu plus et le ministre en redonnait davantage au ministère des Ressources humaines! On a peine à le croire, après tout ce que nous avons appris au sujet de la gestion de ce ministère!

Bref, le ministre dit à chaque groupe qu'il rencontre ce que, selon lui, chacun d'entre eux veut entendre. Et on appelle ça un bon politicien, dans certains milieux. Les sénateurs voient où ce genre d'exercice de la politique peut nous mener: à nourrir le cynisme de la population qui ne croit plus personne dans la classe politique. Je dirai que le peuple a raison. Quand les politiciens tiennent un discours qui ne se conforme pas à leur action, c'en est fini de leur crédibilité.

Perrin Beatty, de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs, a tellement raison: le gouvernement avait la chance de favoriser les investissements au moyen d'encouragements pour créer des emplois ici, mais il n'en a pas profité.

M. McCallum a dit que tout est dans ce budget. Il a peut-être raison, mais c'est sous forme de particules d'éléments pour tous les groupes. Ce n'est pas comme cela que l'on va accroître la productivité au Canada, qui est notre principal problème. Bref, le gouvernement a dit non au problème le plus urgent, le gouvernement n'a pas de priorité. Il n'en a pas ni en agriculture, ni en santé, ni en défense, ni en politique étrangère, ni en aide aux pays en développement. Il veut intervenir un peu partout sauf là où cela compte.

(1730)

Un autre exemple: le ministre a fait des discours pour dire qu'il fallait faire quelque chose au sujet de la dette publique. Le ministre est content, semble-t-il, maintenant parce que le ratio de la dette au PIB baisse un peu (60 p. 100 au lieu de 63 p. 100) ou que le ratio des frais de service au budget baisse de 30 p. 100 à 27 p. 100. C'est évident que l'effort des Canadiens durant une année conduit à ce genre de résultats, pas la simple croissance du produit intérieur brut. Cependant, si l'inflation monte d'un point ou deux, le ministre sera-t-il plus avancé?

Reprenons les points majeurs du discours du ministre un par un en explicitant les remarques préliminaires précédemment exposées et en les évaluant par rapport à leurs effets sur l'augmentation de la productivité qui est le garant fondamental de la croissance réelle, et donc de la hausse du niveau de vie des Canadiens.

En ce qui concerne l'impôt des particuliers, la déduction de base passe de 6 800 $ à 8 000 $ en cinq ans. On est encore loin d'un minimum décent, mais pour les gens à revenus modestes, l'addition du revenu disponible aidera à satisfaire aux besoins essentiels.

Quant au taux d'imposition intermédiaire, 24 p. 100 au lieu de 26 p. 100, c'est un progrès, tout comme le seuil de 35 000 $ au lieu de 29 590 $. Entre nous, honorables sénateurs, enlever le quart du revenu à des gens qui gagnent aux environs de 40 000 $, c'est encore trop. Quant au taux de 29 p. 100 applicable aux 70 000 $ et plus, c'est un peu mieux qu'à 59 000 $, mais on n'est pas loin du tiers du revenu remis au gouvernement, sans compter ce que les salariés modestes paient en taxes à la consommation comme sur la vente au détail, l'essence et les divertissements.

Comme le soulignait Sherry Cooper, dans son récent livre, l'impôt sur le revenu des particuliers est punitif au Canada. Après impôt, le revenu moyen par habitant, ici, est de 40 p. 100 inférieur à celui des États-Unis. Celui de Toronto égale à peine celui de l'Arkansas, qui lui-même est inférieur de moitié à celui du Connecticut. Quand les gens réalisent que leur revenu personnel disponible n'augmente pas ou à peine, ils deviennent plus agressifs et les grèves font augmenter le nombre de jours de travail perdus, ce qui a bien sûr des répercussions sur la productivité.

Quant à la surtaxe, dite temporaire, elle est encore là pour longtemps, au rythme où le ministre veut la faire disparaître. Que le gouvernement ait donc le courage de refaire ses tables en disant qu'il veut accroître la progressivité de l'impôt personnel, car il le fait de façon détournée. Le gouvernement préfère continuer à rebattre les oreilles de ceux qui réussissent tout comme le feraient les socio-démocrates. Mais ce n'est pas comme cela qu'on construit une société forte. Nous décourageons les meilleurs.

Passons maintenant à l'impôt sur le revenu des entreprises. C'est un petit 1 p. 100 de moins pour les entreprises de service et de haute technologie: on passe de 28 à 27 p. 100. Il n'y a pas là de quoi sauter en l'air. On fait un pas de nain pour corriger un non-sens économique majeur dans notre fiscalité qui est plus élevée que celle de tous les pays du G-7. En fait, depuis les années 60, les impôts sur les profits ont toujours augmenté. L'an dernier, j'ai abordé cet aspect dans le débat sur le budget, et le sénateur Murray m'a demandé pourquoi, malgré un traitement fiscal généreux en recherche et développement, les résultats en termes d'exploitation n'étaient pas meilleurs. La réponse, c'est que les impôts sur le revenu des sociétés sont trop élevés. C'est la même raison qui explique la diminution des investissements étrangers directs.

[Français]

Par ailleurs, le taux d'inclusion des gains en capital est ramené aux deux tiers, des trois quarts qu'il était, mais on a encore du chemin à faire pour attirer les investissements. C'est ici aussi que le ministre a été beaucoup trop timide. L'imposition des gains réalisés sur des options d'achat d'actions retardées à la vente des actions plutôt qu'à la levée des options est un commencement de mesure qui s'imposait pour inciter les talents à rester au Canada, mais ce n'est pas suffisant. Il faut que les changements fiscaux soient assez marqués pour modifier les comportements et, entre autres, élever le taux de participation au marché du travail. Quand on perd l'équivalent de la moitié et plus des gradués d'une année en génie, en informatique et en nursing, c'est grave. Le président de Nortel a été clair là-dessus.

En ce qui concerne les REER et les RPA, on monte le plafond appliqué aux placements étrangers à 25 p. 100. Cependant, il y a déjà un bon moment que les marchés avaient développé des instruments, comme les fonds indiciels étrangers, permettant de contourner le protectionnisme canadien qui ne faisait que confirmer le rendement médiocre des entreprises canadiennes surtaxées et la peur de la banque centrale de voir s'accroître les placements étrangers à court terme alors que les industriels dégageaient en même temps des investissements étrangers directs susceptibles d'empirer la chute du dollar canadien.

En ce qui concerne les cotisations à l'assurance-emploi, après bien des hésitations, le ministre est en train de se rendre à l'évidence et de ramener celles-ci au taux approprié pour assurer l'équilibre du système.

Je voudrais maintenant attirer votre attention, honorables sénateurs, sur le plan des dépenses publiques. Je reviendrai plus tard sur les transferts aux provinces qui, à mon avis, sont à repenser, pour dire un mot des encouragements à l'innovation. Le gouvernement ajoute un financement pour les chaires de recherche universitaire; je n'ai rien contre l'ajout de fonctionnaires recherchistes, mais ce n'est pas comme cela que General Electric, Microsoft, 3M, Intel, CISCO, Hewlett-Packard, Hughes Aircraft, Lucent Technology et les autres géants de l'industrie obtiennent des brevets et mettent sur le marché des nouveaux produits qui assurent la hausse fulgurante - plus de 3 p. 100 par an depuis 3 ans - de la productivité de l'économie américaine, qui reçoit les talents et les investissements étrangers alors que nous, nous les perdons. Est-ce là aussi une nouvelle tendance? J'espère que non, mais en attendant, nous sommes exportateurs net de capital pour la première fois.

Là où le gouvernement devrait être innovateur, ce n'est pas dans les programmes de dépenses qui conduisent à des scandales, mais dans la fiscalité, dans la façon d'inciter tous les agents économiques, entreprises, managers, scientifiques, opérateurs, à faire les choses plus efficacement. J'ajoute que plus la réglementation est omniprésente, plus la liberté d'entreprendre est compromise.

Ce n'est pas moi qui le dis: c'est le Conference Board du Canada, la Chambre de commerce du Canada, le Conseil du patronat, M. Cleghorn, de la Banque Royale, le Business Council on National Issues. Ce sont des économistes réputés du C.D. Howe Research Institute et autres comme MM. J. Frank, McCallum, Migué, Fortin, sans compter leurs éminents collègues américains qui se sont penchés sur le phénomène de la croissance, MM. Barro, Lucas, Romer et Krugman.

Même le ministre de l'Industrie, M. Manley, le soulignait deux jours après le discours du budget de son collègue. Enfin, le premier Canadien à recevoir le prix Nobel en économie, Robert Mundell, a livré le même message récemment.

Bref, le ministre a perdu une occasion en or de donner un coup de barre réel pour nous lancer en avant au lieu de saupoudrer les avantages fiscaux à la miette de façon à plaire aux jeunes, à la classe moyenne, aux parents, aux personnes âgées, aux universitaires, et cetera. Le ministre a fait des petits pas dans toutes les directions sauf un vrai pas vers la hausse de la productivité. Il se fie sur le fait que le taux de change flottant va faire en sorte qu'un dollar faible subventionne les manufacturiers en mal de compétitivité.

Pour tout dire, honorables sénateurs, je n'ai jamais compris, d'une part, que dans les sociétés de marché comme la nôtre, les gouvernements soutirent tout ce qu'ils peuvent des entreprises qui sont les engins de la prospérité, et, d'autre part, par quelle espèce de contorsion intellectuelle peut-on en venir à croire que les ministres sont plus compétents que les industriels pour investir l'argent de ces derniers dans des machines et équipements qui concourent à augmenter la capacité de produire? Comme le soulignait M. R. Martin dans le Globe and Mail du 9 février dernier:

[Traduction]

Les gouvernements ne peuvent pas choisir leurs gagnants, mais les perdants peuvent choisir leurs gouvernements.

[Français]

J'entends tout de suite la réplique typique des libéraux socio-démocrates, qui soutiennent que les compagnies qui vont bien devraient payer leur dû pour que le gouvernement redistribue cet argent à ceux qui, dans la société, en ont le plus besoin.

La redistribution - la justice sociale décidée par les gouvernants - est devenue une idéologie utilisée à des fins électorales et ne sert pas à vraiment répartir la richesse. En fait, la redistribution véritable est une partie mineure du processus dont le résultat global est beaucoup plus une série de transferts à des groupes d'intérêts qui ne sont pas formés des plus démunis. À peine 10 p. 100 du budget profite aux pauvres. C'est le jeu classique des coalitions temporaires et successives qui tirent partie des batailles de pouvoir.

La vraie réponse à ma question précédente sur le rôle social des compagnies, c'est de faire du profit de façon à l'investir pour assurer la croissance. Quand la prospérité est là, on peut se payer des politiques sociales généreuses. Autrement, c'est un effort additionnel d'égalité dans la pauvreté.

Lors du récent débat soulevé par le sénateur Ghitter sur l'à-propos des subventions aux entreprises, supposément données pour créer de l'emploi, le leader du gouvernement au Sénat a fait l'apologie, avec des sanglots dans la voix, de ce régime de subventions aux entreprises. Outre les nombreux scandales mis à jour suite à ces déboursés sans analyse, sans vérification et sans sagesse, je voudrais dire à nos amis d'en face qu'ils auraient intérêt à regarder un certain nombre d'études relatives aux dépenses des gouvernements menées par des universitaires distingués. Quel est le résultat général des travaux empiriques des professeurs Gwartney, Holcombe Lawson, Mackness et autres parus récemment dans le Cato Journal et autres revues académiques reconnues? Le score, c'est qu'il y a une relation négative très nette entre la taille de l'État et la croissance économique.

Autrement dit, plus les dépenses gouvernementales par rapport au PIB augmentent, à cause des subventions aux entreprises et d'autres mesures de redistribution douteuse, plus la croissance des pays diminue.

[Traduction]

Cela est vrai, par exemple, pour la période l960-l996 dans les pays de l'OCDE. Il s'agit là d'une conclusion très importante qui s'avère fondée, sur une période de 40 ans, relativement à l'évolution économique de 23 pays industrialisés. Que peut-on demander de plus concluant? J'invite le leader du gouvernement à lire quelques-unes de ces recherches sérieuses. La prochaine fois, cela modifiera sans doute sa réponse populiste aux arguments sérieux du sénateur Ghitter.

Comment peut-on encore sérieusement soutenir l'à-propos de cette redistribution arbitraire après tant de cas notoires d'échecs et de scandales? Plus on a de programmes publics d'emploi, plus on a un taux de chômage élevé.

(1740)

Si le ministre veut des références précises sur ces études, je les lui fournirai tout de suite. En attendant, je vous souligne ici, honorables sénateurs, que dans les années et les pays où les dépenses publiques étaient à moins de 25 p. 100 du PIB, le taux de croissance atteignait 6,6 p. 100. Plus l'État s'est élargi, plus le taux de croissance a ralenti pour tomber à 1,6 p. 100 dans les pays et les années où les dépenses publiques atteignent 60 p. 100 du PIB. Tel est le sommaire qu'en tirent Miguél et Boucher dans leur récente étude sur la fiscalité.

Une baisse de 10 points des dépenses gouvernementales en pourcentage du PIB donne un point de pourcentage additionnel de croissance économique, selon les auteurs cités précédemment. Les budgets de dépenses publiques expliqueraient 42 p. 100 des variations de croissance, selon eux. Une réduction de 29 p. 100 des dépenses publiques provoquerait une hausse de 22 p. 100 de l'activité économique. Les bénéfices des dépenses publiques au-delà de 25 p. 100 du PIB sont nuls et n'ajoutent rien au bien-être de la population. Une hausse de 10 points des dépenses publiques entraîne une baisse de 1,6 p. 100 du taux d'investissement.

Des exemples qui confirment ces assertions sont fournis par l'Irlande, l'Angleterre et la Nouvelle-Zélande et, plus près de chez nous, par l'Alberta et l'Ontario.

Or, durant la période de 1960 à 1996, le Canada a augmenté ses dépenses publiques de 28,6 p. 100 à 46,4 p. 100, soit une augmentation de 17,8 points de pourcentage, ou 5 p. 100 par décennie environ, alors que les États-Unis passaient de 28,4 p. 100 à 34,6 p. 100, soit une augmentation de 6,2 points de pourcentage sur 40 ans.

Il ne faut pas se surprendre, par conséquent, si les Américains ont pris depuis une décennie une avance accélérée sur celle qu'ils avaient traditionnellement sur nous. Je ne dis pas que ce facteur est le seul responsable de cette avance. Je sais que d'autres facteurs ont concouru à la hausse supérieure de la productivité de l'économie américaine. Mais parce que les dépenses publiques sont moins élevées aux États-Unis, les taxes et impôts y sont moins élevés, et les ressources deviennent d'autant plus disponibles pour les individus et les entreprises aux fins de recherche et développement, lesquelles concourent à l'innovation dans les produits, les services et les façons de faire.

Ce climat favorable à l'entrepreneurship attire le capital de risque, la gestion performante et les cerveaux qui ont des idées neuves; il incite en outre à l'émulation des équipes à l'intérieur des entreprises et entre les entreprises.

On nous a dit depuis quelques années, du côté du gouvernement, que la compression des dépenses des ministères est terminée. Effectivement, le gouvernement a recommencé à dépenser à un rythme supérieur à la croissance, cette année.

Or, quel est le constat des auteurs cités plus haut? Un accroissement constant, au cours des 40 dernières années, des dépenses et activités gouvernementales en dehors des services dits essentiels que sont la protection des personnes et de la propriété, le règlement des différends, la construction d'infrastructure et l'éducation. Selon Grubel et Gwartney, le coût de ces services publics essentiels correspond à plus ou moins 15 p. 100 du PIB d'un pays, dont 5 p. 100 pour la défense et la police (au Canada on n'y consacre que 1 p. 100 du PIB), 5 p. 100 pour la formation et un autre 5 p. 100 pour les routes, l'environnement, et le reste.

Admettons pour les fins de discussion que l'État doive participer aux coûts de santé comme il le fait présentement, soit dans une proportion correspondant à 6,7 p. 100 du PIB, et qu'il faille en outre assurer un filet public de sécurité sociale de 7 à 8 p. 100. Tout cela ne fait que 27 à 30 p. 100 du PIB en dépenses gouvernementales. Or, nous sommes à bien au-delà de 40 p. 100 au Canada. Comment le gouvernement peut-il soutenir que les dépenses gouvernementales sont désormais incompressibles?

Pourtant, on sait que la productivité décline à mesure qu'augmentent les dépenses publiques parce que le processus politique déplace les énergies de l'entrepreneurship vers le «rent-seeking», la recherche de faveurs qui résulte de la fameuse redistribution des revenus à laquelle s'adonnent les gouvernements.

Gwartney et ses collègues constatent aussi que le taux de croissance économique d'un pays est inversement proportionnel à celui des dépenses du gouvernement de ce pays par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE.

Or, sur une longue période, disons 100 ans, un taux de croissance de 1 p. 100 inférieur se serait traduit, aujourd'hui, pour les Américains par un revenu par habitant équivalent à celui des Mexicains.

Parmi les dépenses gouvernementales, je voudrais choisir ici une catégorie autre que celle qui fut l'objet de gaspillage et de favoritisme politique récemment. Il s'agit des transferts aux provinces. Je sais que les transferts sont considérés comme un élément essentiel du fédéralisme canadien. Mais ces transferts ne font pas que prendre les revenus des provinces riches pour les donner aux provinces moins nanties. Ça, c'est la théorie, la justification de ce type de redistribution. Dans la pratique, cependant, ce n'est pas la perfection, car les Canadiens à revenu moyen des provinces riches subventionnent les Canadiens plus riches des provinces qui le sont moins.

[Français]

De plus, en dehors du programme de péréquation, les provinces ne sont pas toujours traitées équitablement par le jeu des transferts, qui a un effet négatif sur la mobilité du marché de la main-d'oeuvre.

Finalement, l'imputabilité des gouvernements est sacrifiée dans ce processus. En ce qui concerne le filet de sécurité sociale, le jeu des transferts entre générations n'est pas très équitable non plus. Comme redistribution, c'est loin d'être la perfection quand on mesure les coûts-bénéfices, par exemple, applicables aux gens de ma génération par rapport à celle de mes enfants. Les jeunes qui se font avoir dans ce processus ont peut-être raison d'être un peu cyniques. C'est un cas classique du jeu politique: on prend l'argent de tous les contribuables et on en remet plus à une coalition de voteurs, dans ce cas-ci les personnes âgées. On distribue tout de suite les faveurs et ensuite, on constate que les cotisations sont insuffisantes. Alors, plus tard, comme on le fait ici depuis 1998, on demande à tout le peuple de payer davantage, y compris aux jeunes.

Dans ce cas-ci, en plus, on a créé un fonds où les cotisations sont obligatoirement versées et l'agence monopolistique de leurs placements deviendra un investisseur majeur dans les entreprises canadiennes et étrangères. On prendra des participations dans les compagnies et on étendra indéfiniment la main de l'État dans le régime de marché.

Honorables sénateurs, je vous dis que cela ne présage rien de bon pour l'économie canadienne et pour la liberté des entrepreneurs.

Un dernier secteur de dépenses qui est toujours inquiétant, c'est celui de la santé. On y consacre 9,5 p. 100 du PIB au Canada, soit plus qu'à peu près partout ailleurs, sauf aux États-Unis en 1996, et 75 milliards de dollars, par conséquent, dont les deux tiers par les gouvernements et le tiers par les personnes elles-mêmes ou les assurances. Or, d'ici cinq ans, nous ne formerons plus 6 p. 100 de la population à 70 ans et plus, mais 9 p. 100.

De 1965 à 1999, la santé a plus que doublé sa ponction du PIB. Comme on sait qu'il en coûte quatre fois plus cher - 8 000 $ au lieu de 2 000 $ - pour soigner les gens de 65 ans et plus que ceux de 45 à 64 ans, on peut déjà conclure que les coûts des médicaments, qui absorbaient 8,8 p. 100 des dépenses en 1975 et 14 p. 100 en 1996, vont faire monter la facture pour les citoyens.

Si on ajoute à ce facteur les coûts de la sécurité sociale, qui sont passés de 6 à 10 p. 100 du PIB en quelques décennies, avec ce résultat qu'au lieu d'absorber 15 p. 100 du PIB, on en est maintenant à 23 p. 100, soit 210 milliards dollars pour les politiques sociales, il m'apparaît assez évident qu'une réforme s'impose, si les gouvernements en ont le courage, de façon à introduire du capital privé et de la concurrence dans ces systèmes, c'est-à-dire les régimes d'assurance publique.

J'ai une dernière réflexion. Le ministre nous dit que le ratio de la dette au PIB va vers son objectif de 50 p. 100. Je vous rappelle qu'à ces 570 milliards de dollars, il faut ajouter, pour le même contribuable canadien, les dettes des provinces. Si bien qu'au total, c'est autour de 90 p. 100 du PIB dont il s'agit, soit 845 milliards de dollars. Cela signifie 8,5 p. 100 du PIB en services d'intérêt, ce qui nous rend particulièrement vulnérables à une récession américaine, par exemple, ou à une hausse de l'inflation.

Je ne dis pas que le ministre des Finances, dans son budget, ne va pas dans la bonne direction. Il se l'est fait dire par tellement de monde depuis un an qu'il ne pouvait faire autrement. Ce que je dis, c'est qu'il y va à petits pas et que les gens se font endormir par des résultats prévus dans cinq ans. Ce ne sont pour moi que des intentions. Les faits, ce sont les petits pas qui ne constituent aucunement des incitatifs suffisants pour accroître massivement les investissements intérieurs et étrangers chez nous.

D'ailleurs, la réaction des marchés a été nulle sur le dollar, donc le prix des machines et des équipements «high-tech» d'importation destinés à participer à l'accroissement de notre productivité reste le même, c'est-à-dire trop élevé. En conséquence, les importations de ces outils ne seront pas suffisantes pour faire une véritable différence dans nos façons de faire. Quand je parle de façons de faire, cela vaut pour les manufactures de produits traditionnels et de nouvelle économie, pour les services comme les transports, les utilités, l'énergie et les télécommunications, sans parler du gouvernement.

Comme l'a mentionné M. Thomas d'Aquino, du BCNI, la compétition américaine est actuelle, ce n'est pas dans quatre ans. À ce rythme, nous sommes et resterons les plus taxés des pays du G-7. Bref, honorables sénateurs, ce que je dégage du budget, c'est que le ministre des Finances a compris le message évident de la communauté des affaires, mais qu'il n'a pas, dans ses gestes, privilégié d'une façon notable la priorité des priorités, c'est-à-dire la croissance de la productivité. Les effets des décisions gouvernementales du 28 février seront donc fort minimes en regard des attentes des Canadiens.

Au lieu de couper les taxes, disons, de 20 p. 100, le ministre coupe la moitié moins et garde le reste pour le dépenser et non pour payer une partie de la dette, avec le résultat que dans notre lutte avec notre principal rival, les États-Unis, nous ne sommes pas plus avancés qu'avant. Le ministre veut dépenser de l'argent dans toutes sortes de programmes, mais pendant ce temps, le «brain drain» et l' «investment drain» continueront. C'est dommage.

J'entends déjà le ministre rétorquer qu'il fallait ajouter de l'argent public dans la santé. Je dis qu'il faut plutôt modifier le système qui ne tiendra pas le coup, de toute façon, sans l'effort du secteur privé. Je ne suis pas souvent d'accord avec le ministre des Finances du Québec, mais pour une fois, je pense qu'il a raison d'y voir des problèmes de gestion d'abord, tout comme l'explique le Conference Board dans son étude sur la performance de l'économie canadienne en 1999.

En terminant, je résume mes réflexions en quatre points. D'abord, le discours économique du gouvernement n'est pas convaincant. Deuxièmement, le gouvernement n'a pas mis assez l'accent sur le problème prioritaire qu'est l'accroissement de la productivité. En troisième lieu, on ne fait que de petits pas dans la taxation qui n'auront guère d'effet sur le progrès économique. Quatrièmement, et cela est bien typique du gouvernement libéral, on tire l'argent dans le tas sans principes directeurs pour les régler. C'est dommage, car on aurait pu faire beaucoup mieux avec ces milliards qui, faut-il le rappeler, appartiennent au peuple du Canada.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Stratton, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, après une brève discussion avec mon homologue, je demande la permission de reporter tous les points qui restent au Feuilleton et Feuilleton des Avis et de maintenir l'ordre dans lequel ils sont inscrits aujourd'hui.

Son Honneur le Président pro tempore: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement:

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement), avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à mardi prochain, le 28 mars 2000, à 14 heures.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mardi 28 mars 2000, à 14 heures.)


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